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La Commission européenne planche sur un Media Freedom Act

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18 mars 2022

Temps de lecture : 7 minutes
Accueil | Veille médias | La Commission européenne planche sur un Media Freedom Act

La Commission européenne planche sur un Media Freedom Act

Temps de lecture : 7 minutes

Le 15 septembre 2021, lors de son discours sur l’état de l’Union, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen évoquait la perspective de l’adoption d’un cadre juridique européen en matière de liberté de la presse et des médias. Ce projet devrait voir le jour au plus tard au printemps ou à l’automne 2022.

« Défendre celles et ceux qui nous éclairent »

Dans ce dis­cours du 15 sep­tem­bre 2021, la prési­dente de l’exécutif européen a déclaré :

« L’in­for­ma­tion est un bien pub­lic. Nous devons défendre celles et ceux qui nous éclairent : les femmes et les hommes jour­nal­istes. C’est pourquoi nous avons présen­té aujour­d’hui une recom­man­da­tion pour une meilleure pro­tec­tion des jour­nal­istes. Et nous devons stop­per tous ceux qui men­a­cent la lib­erté des médias. Les médias ne sont pas des entre­pris­es comme les autres.
Leur indépen­dance est essen­tielle. Voilà pourquoi l’Eu­rope a besoin d’une loi qui garan­tisse cette indépen­dance. L’an­née prochaine, nous présen­terons pré­cisé­ment une telle loi sur la lib­erté des médias.
Parce que, quand nous défendons la lib­erté de nos médias, c’est aus­si notre démoc­ra­tie que nous défendons. »

Une base juridique discutable

En plaidant pour un Media Free­dom Act au niveau européen en avril 2021, Thier­ry Bre­ton, Com­mis­saire européen au Marché intérieur, a recon­nu que les com­pé­tences de l’Union européenne étaient lim­itées dans ce domaine, mais qu’une telle lég­is­la­tion était dev­enue essentielle.

L’annonce d’un Media Free­dom Act en avril 2021 repose en réal­ité sur l’adoption par la Com­mis­sion européenne, le 3 décem­bre 2020, dans le cadre de la « décen­nie numérique », d’un plan « visant à soutenir la relance et la trans­for­ma­tion des secteurs des médias et de l’audiovisuel de l’UE ».

À ce jour, ce pro­jet est encore dans une phase de « con­sul­ta­tion publique » lancée par la Com­mis­sion européenne et prenant fin le 21 mars 2022. L’exécutif brux­el­lois invite les citoyens européens à don­ner leur avis sur une propo­si­tion de règle­ment résumée ainsi :

« L’évolution récente observée dans les pays de l’UE en ce qui con­cerne la pro­priété, la ges­tion ou le fonc­tion­nement de cer­tains médias témoigne d’une ingérence crois­sante dans le secteur des médias.
Cette ini­tia­tive vise à garan­tir un meilleur fonc­tion­nement du marché des médias de l’UE en amélio­rant la sécu­rité juridique et en élim­i­nant les obsta­cles au marché intérieur.
Les règles établiront un mécan­isme visant à ren­forcer la trans­parence, l’indépendance et l’obligation de ren­dre compte pour les actions ayant une inci­dence sur les marchés des médias, la lib­erté et le plu­ral­isme au sein de l’UE. »

Au-delà du con­tenu flou des fameuses « valeurs de l’UE » et de la dis­po­si­tion de la charte des droit fon­da­men­taux de l’UE con­cer­nant le respect de « la lib­erté des médias et de leur plu­ral­isme », seule une série d’articles du Traité sur le fonc­tion­nement de l’UE per­met de don­ner une base juridique à cette ini­tia­tive de nou­velle « loi européenne sur les médias ». Ces arti­cles con­cer­nent la libre cir­cu­la­tion des marchan­dis­es, la libre cir­cu­la­tion des per­son­nes, des ser­vices et des cap­i­taux, la poli­tique de con­cur­rence, l’harmonisation et le rap­proche­ment tech­nologiques, l’éducation, la for­ma­tion pro­fes­sion­nelle, la cul­ture, l’industrie et la poli­tique com­mer­ciale commune.

Il s’agirait donc a pri­ori d’un pro­jet s’appuyant sur les lib­ertés — essen­tielle­ment économiques — garanties au sein du marché unique. Les pro­duits médi­a­tiques et les acteurs du marché des médias ont tou­jours fait l’objet de vifs débats en rai­son de la dif­fi­culté à les qual­i­fi­er juridique­ment de manière rigoureuse. Dans un monde en pleine numéri­sa­tion, il n’est pas anor­mal que la Com­mis­sion européenne se penche sur cette ques­tion en ten­tant d’englober les médias dans les dis­po­si­tions rel­a­tives au fonc­tion­nement du marché unique.

Mais est-il seule­ment ques­tion d’un débat tech­nique et juridique ? Le juridisme brux­el­lois est bien sou­vent l’occasion de faire pass­er par la petite porte des pro­jets haute­ment poli­tiques. En l’occurrence, les visées poli­tiques et idéologiques de ce pro­jet de nou­velle « loi européenne sur les médias » sont à peine dissimulées.

« Éducation aux médias »

En 2008, l’Union européenne avait déjà franchi une étape impor­tante en matière d’action dans le domaine des médias. Suite au rap­port d’initiative sur la com­pé­tence adop­tée par la Com­mis­sion CULT en novem­bre 2008, une réso­lu­tion avait été votée en séance plénière le 16 décem­bre 2008 pour soulign­er le rôle déter­mi­nant de l’éducation aux médias dans « l’éducation poli­tique et de la par­tic­i­pa­tion active des citoyens européens ».

Peut-on édu­quer aux médias sans véhiculer de con­tenus ori­en­tés poli­tique­ment et idéologique­ment ? Selon les élites brux­el­lois­es, cette ques­tion n’a sans doute pas lieu d’être. Pour­tant, les récentes évo­lu­tions pris­es en matière de fact-check­ing et de « lutte con­tre les fauss­es infor­ma­tions et la dés­in­for­ma­tion » mon­trent le vrai vis­age de la déf­i­ni­tion qu’entend don­ner la Com­mis­sion européenne à l’« édu­ca­tion aux médias ». La créa­tion d’un Obser­va­toire européen des médias numériques en 2020, des­tiné à « édu­quer à la con­som­ma­tion en con­science des con­tenus médi­a­tiques », est là pour le confirmer.

Cette ten­dance à l’« édu­ca­tion aux médias » devrait donc se retrou­ver dans la nou­velle « loi européenne sur les médias » et ain­si ouvrir la porte à encore plus de biais poli­tiques et idéologiques dans le rap­port qu’entretiennent les insti­tu­tions européennes à la ques­tion de lib­erté de la presse et des médias.

« Fonds permanent de l’Union pour les médias d’information »

Tou­jours suite à l’adoption d’un rap­port par la Com­mis­sion CULT en sep­tem­bre 2021, une réso­lu­tion a été votée le 20 octo­bre 2021 pour deman­der la « créa­tion d’un fonds per­ma­nent de l’Union pour les médias d’information afin de préserv­er l’indépendance du jour­nal­isme européen. » Les députés ayant soutenu soutenus cette réso­lu­tion votée en séance plénière « met­tent en garde con­tre le fait que con­cen­tra­tion de la pro­priété des médias et leur cap­ta­tion par l’État men­a­cent la diver­sité des médias, et insis­tent sur l’urgence de réa­gir à ‘l’effet per­tur­ba­teur con­sid­érable’ des plate­formes en ligne mondiales. »

Les insti­tu­tions européennes seraient-elles donc prêtes à pren­dre à bras le corps le prob­lème de la con­cen­tra­tion du secteur des médias en France et l’influence démesurée prise par les GAFAM ? À la lec­ture de cette réso­lu­tion, on pour­rait le penser. Mais l’UE juge évidem­ment plus prob­lé­ma­tiques les cas de la Pologne et de la Hon­grie, où, selon elle, la lib­erté des médias se seraient con­sid­érable­ment dégradée au cours des dernières années. D’ailleurs, les défenseurs de ce Media Free­dom Act ne font pas grand secret de leur ori­en­ta­tion politique.

Věra Jourová, Margrethe Vestager, l’AFP, Reuters, etc. Le décor est planté !

Mar­grethe Vestager, vice-prési­dente exéc­u­tive pour une Europe adap­tée à l’ère du numérique, et Věra Jourová, vice-prési­dente chargée des valeurs et de la trans­parence, n’ont jamais été ten­dres avec la Pologne et la Hon­grie. Les liens de Věra Jourová avec la galax­ie Soros et ses con­tacts avec l’opposition hon­groise et les médias « indépen­dants » budapestois sont avérés.

Jourová est en pre­mière ligne dans ce pro­jet de nou­velle « loi européenne sur les médias » aux côtés de Thier­ry Bre­ton et de Mar­grethe Vestager. Elle a bien sûr par­ticipé à la con­férence de l’European News Media Forum à Brux­elles le 29 novem­bre 2021, où elle a tenu un dis­cours prenant la défense du média d’opposition hon­grois Telex devant un parterre com­posé de la crème du jour­nal­isme européen et des représen­tants de médias n’ayant pas véri­ta­ble­ment de leçons à don­ner en matière de con­cen­tra­tion des médias : TF1, Gaze­ta Wybor­cza, AFP, Reuters, ARD, etc.

C’est au cours de cette réu­nion à Brux­elles que le Com­mis­saire Thier­ry Bre­ton a fait la pro­mo­tion de l’European Media Free­dom Act, mon­trant ain­si que ce pro­jet était surtout des­tiné à régler le prob­lème posé par les médias n’acceptant pas de respecter les lignes édi­to­ri­ales admis­es à Brux­elles. Les prérog­a­tives que s’accorderont les insti­tu­tions européennes dans le cadre de ce Media Free­dom Act à venir seront donc à sur­veiller de près.

Voir aus­si : De la pro­pa­gande dans l’Éducation nationale

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