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Les gauches européennes lancent leurs médias

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31 janvier 2018

Temps de lecture : 8 minutes
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Les gauches européennes lancent leurs médias

Temps de lecture : 8 minutes

Alors que l’extrême-gauche ne les a pas attendus (la Rotative, Paris-Luttes Info, Indymedia, Rebellyon, IAATA, Expansive) et que la droite hors les murs se structure enfin (Recomposition, L’Incorrect), la France Insoumise a lancé au début de 2018 son Media. Mais cette initiative n’est pas la seule en Europe occidentale : dans d’autres pays, des médias de gauche radicale émergent, avec plus ou moins de succès, notamment en Grande-Bretagne et en Espagne.

Des indépendants qui ne percent pas auprès du grand public

En Grande-Bre­tagne, le jour­nal­iste ira­no-bri­tan­nique Aaron Bas­tani a lancé Novara Media en 2013, pour dénon­cer la crise du cap­i­tal­isme. A l’au­tomne 2015, dans la foulée de la vic­toire de Jere­my Cor­byn à la tête du Par­ti Tra­vail­liste – il se retrou­ve ensuite à fer­railler con­tre son estab­lish­ment net­te­ment plus en phase avec le cap­i­tal­isme – le site lance une lev­ée de fonds pour rémunér­er ses col­lab­o­ra­teurs. Aaron Bas­tani se dit favor­able au finance­ment de médias alter­nat­ifs par le Par­ti Tra­vail­liste et fait des appels du pied pour puis­er dans les caiss­es pleines des syn­di­cats anglais (6,5 mil­lions de membres).

Rien de tout cela n’aboutit, et selon Medi­a­part (28.01) Novara Media risque la dis­so­lu­tion d’i­ci début mars, faute d’avoir com­mu­niqué son rap­port annuel comme la loi l’ex­ige. Quant aux syn­di­cats anglais, ils ne sont tou­jours pas devenus 2.0 bien qu’ils en aient les moyens. En décem­bre 2017, une ving­taine d’indépen­dants – dont Novara Media – se sont regroupés au sein d’une coopéra­tive, The Media Fund. Celle-ci veut boule­vers­er le finance­ment du jour­nal­isme dans un pays où cinq mil­liar­daires déti­en­nent 80% des médias privés, et le reste est pris par le géant gou­verne­men­tal BBC (con­fron­té depuis quelques années à la con­cur­rence du russe RT).

La Tuerka plombé par la crise de Podemos et de la Catalogne

La doyenne des médias de la gauche « dure » en Europe, c’est l’émis­sion la Tuer­ka (l’écrou), lancée en 2010 par des uni­ver­si­taires madrilènes de la fac­ulté de Sci­ences Poli­tiques et de Soci­olo­gie, ain­si qu’un groupe d’é­tu­di­ants, Con­trapoder. Elle a accom­pa­g­né le mou­ve­ment des Indignés en 2011, puis le lance­ment de Podemos en 2014. Accusée par des médias proches du gou­verne­ment d’être financée par l’I­ran et le Venezuela, à hau­teur de plusieurs mil­lions d’eu­ros, ce qui a rejail­li sur Podemos aux lég­isla­tives de 2015, elle était dif­fusée sur le site Pub­li­co, sur inter­net. Offi­cielle­ment, l’émis­sion est financée par la société lim­itée uniper­son­nelle de Juan Car­los Mon­ed­era – un des cofon­da­teurs de Podemos –, Caja de Resisten­cia Moti­va 2 Pro­duc­ciones S. L. 

Fondé en 2007 comme quo­ti­di­en papi­er classé à gauche, Pub­li­co passe unique­ment sur le web en 2012 faute de ren­trées d’ar­gent suff­isantes. Pub­li­co dif­fuse aus­si un jour­nal alter­natif qui fait la pro­mo de Pablo Igle­sias et de son par­ti, ain­si que l’émis­sion de débat, Fort Apache, qu’anime le secré­taire général de Podemos. Cepen­dant, la Tuer­ka a aus­si souf­fert de plein fou­et de la crise de Podemos, elle-même liée à la crise cata­lane : le par­ti est coupé en deux, les sec­tions espag­noles ne com­prenant pas le choix des sec­tions cata­lanes, tan­dis que la presse main­stream se déchaîne con­tre les pris­es de posi­tion pro-cata­lanes de Podemos.

Cepen­dant, d’autres ini­tia­tives font vivre la presse de gauche rad­i­cale en Espagne, notam­ment El Diario ou encore Infoli­breparte­naire de Medi­a­part en Espagne. Ces nou­veaux médias dénon­cent la cor­rup­tion générale de la classe poli­tique, prof­i­tant du fait que la presse main­stream est beau­coup plus sage – bien plus qu’en France, et il n’y existe pas de Canard Enchaîné – et se lim­ite aux infor­ma­tions générales ain­si qu’aux débats d’idées.

Battage médiatique autour du Media

Avant même d’avoir dif­fusé le moin­dre pro­gramme, Le Media était déjà célèbre grâce au battage médi­a­tique autour de la « TV de Mélen­chon ». Après tout, le Cher Leader de la France Insoumise n’a rien inven­té – cela s’ap­pelait la Prav­da (et ça existe tou­jours). Lancée autour d’un mod­èle par­tic­i­patif… pas si par­tic­i­patif par deux très proches de Mélen­chon, Sophia Chikirou, sa con­seil­lère en com’, et Gérard Miller, psy­ch­an­a­lyste cathodique.

D’autres mem­bres de l’équipe sont très proches de Mélen­chon, détaille Médi­a­part (28.1) : « Manon Mon­mirel, sup­pléante du député insoumis de Seine-Saint-Denis, Éric Coquer­el ; Math­ias Enthoven, ancien core­spon­s­able de la cam­pagne numérique du can­di­dat Mélen­chon ; Maxime Viancin, graphiste qui a tra­vail­lé avec la FI ; Michel Mongkhoy, notam­ment core­spon­s­able d’un groupe d’action de la FI à Paris ; Julie Mau­ry et et Romain Spy­cha­la, ani­ma­teurs sur la web-radio Les jours heureux de la FI ».

Autres orig­i­nal­ités : le traite­ment de l’in­for­ma­tion – moins de fait-divers et un par­ti-pris à con­tre-courant des cinq ou six infor­ma­tions qui font le gros de l’ac­tu­al­ité médi­a­tique chaque jour en France. Medi­a­part résume : « ce qui car­ac­térise pro­fondé­ment l’approche du Média, au-delà d’un manque fla­grant de moyens pour faire aujourd’hui une “vraie” télévi­sion, c’est une approche très sociale et écol­o­giste dans le traite­ment des événe­ments ». A l’avenir Le Media veut faire des émis­sions d’é­d­u­ca­tion pop­u­laire et des doc­u­men­taires. Objec­tif : attir­er la pub et être d’i­ci deux à trois ans sur la TNT.

Un réseau de sites locaux…

A l’autre bout du spec­tre, loin de la TNT, l’ul­tra­gauche a con­sti­tué un réseau de sites locaux, sou­vent ani­més par des mil­i­tants locaux anar­chistes et lib­er­taires, qui ne traite guère que leur actu­al­ité et appuie leurs mou­ve­ments. Par­fois cepen­dant elle devient nationale, notam­ment pour cer­taines luttes envi­ron­nemen­tales (Notre-Dame des Lan­des, TGV d’Aoste ou Bure actuelle­ment, Décines ou Sivens par le passé), la ques­tion des migrants (« mon­tag­nards » dans les Alpes-Mar­itimes, No Bor­ders à Calais, squats de migrants un peu partout) ou cer­taines luttes sociales (Loi Travail).

Il existe deux réseaux prin­ci­paux, l’in­ter­na­tion­al Indy­media, présent à Nantes – le site nan­tais cou­vre d’ailleurs des actu­al­ités bien au-delà de la seule Loire-Atlan­tique – et Greno­ble – sur celui-ci on peut générale­ment com­menter les arti­cles, même si les points de vue opposés à l’ul­tra­gauche sont « cachés » (cen­surés) au motif que les opin­ions dif­férentes peu­vent s’ex­primer ailleurs.

Ain­si que la Mutu dont font par­tie Rebel­ly­on (Lyon), IAATA (Toulouse), Paris-Luttes info, Reims Medias Libres, Expan­sive à Rennes (qui sup­plée à Rennes-info, moins act­if), Mar­seille Infos Autonomes, Le Pres­soir (Mont­pel­li­er), Numéro Zéro (Saint-Eti­enne), Manif-Est (Lor­raine), A l’ouest (Rouen), Cric (Greno­ble)… Au-delà de ces réseaux on trou­ve aus­si Tara­nis News qui suc­cède à Rennes TV, Brest Media Libres, Jura lib­er­taire (en perte de vitesse), Zad.nadir (Notre-Dame des Lan­des) ou encore cer­taines radios pirates (Radio Klax­on à Notre-Dame des Lan­des et Nantes, Radio Cro­co à Rennes…). Sur ces sites là, sauf excep­tions, on ne peut pas com­menter et ils ser­vent plus de pan­neau d’af­fichage des luttes que de véri­ta­bles médias.

…pour des mouvements militants solidement ancrés

Cepen­dant ils prospèrent pour deux raisons. La pre­mière, c’est que la presse française d’opin­ion est cen­trée sur Paris – excep­tion faite de l’E­cho du Cen­tre (Limo­ges) et La Mar­seil­laise (Mar­seille) qui viv­o­tent, au bord de la fail­lite pour la dernière. Tan­dis que la presse en province laisse sou­vent couler un filet d’eau tiède et se garde bien de toute inves­ti­ga­tion – mis à part quelques ini­tia­tives isolées. Les ini­tia­tives de jour­naux moins à gauche de s’im­planter en province ont vécu : ain­si des Libé-villes (Rennes, Lille, Stras­bourg, Orléans arrêtés en 2011) tan­dis que Rue89 (Mar­seille, Lyon, Stras­bourg, Bor­deaux) est l’om­bre de lui-même depuis son rachat par le Nou­velObs. Le filon est cepen­dant à nou­veau exploité par Mediac­ités, dans le but de créer des sites d’in­ves­ti­ga­tion locaux.

La sec­onde rai­son est l’ex­is­tence, en province, de mou­ve­ments mil­i­tants solide­ment ancrés, soit autour de ZAD (Notre-Dame des Lan­des, Bure, Sivens, ferme des Bouil­lons, Roy­bon…), soit autour d’un pôle uni­ver­si­taire, de lead­ers syn­di­caux ou mil­i­tants au sein d’en­tre­pris­es en dif­fi­culté et/ou de ser­vices publics ou para­publics (la Poste à Rennes) et de lieux de réu­nion « alter­nat­ifs » (cafés asso­ci­at­ifs ou non, épiceries du type GASE…) en ville. Le renou­velle­ment des généra­tions mil­i­tantes est per­mis aus­si par une his­toire sociale par­fois très impor­tante, notam­ment à Nantes (grèves de 1955, mou­ve­ment de 1967 et 1968), Lyon (canuts) ou Paris qui font le lien avec les mobil­i­sa­tions actuelles.

Une nou­velle forme d’an­crage du mil­i­tan­tisme appa­raît avec la con­tes­ta­tion de pro­jets d’amé­nage­ment urbain dans les villes – des sortes de ZAD urbaines – puis l’ou­ver­ture de squats et de lieux alter­nat­ifs dans ces quartiers pour con­stituer de nou­veaux points de fix­a­tion : ain­si du parc de la Mou­ton­ner­ie et de la ZAC des Gohards à Nantes, des prairies Saint-Mar­tin à Rennes, du stade de l’OL à Décines (Lyon), du grand con­tourne­ment ouest de Stras­bourg etc. Loin du battage médi­a­tique, des grands lead­ers poli­tiques – sou­vent mal vus – et des lumières parisi­ennes, les petits médias alter­nat­ifs de l’ul­tra­gauche ont de beaux jours devant eux, même s’ils ne per­cent guère hors de leur milieu.