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Élections en Autriche : le bateau des médias tangue-t-il enfin ?

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26 décembre 2017

Temps de lecture : 8 minutes
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Élections en Autriche : le bateau des médias tangue-t-il enfin ?

Temps de lecture : 8 minutes

[Red­if­fu­sion – arti­cle pub­lié ini­tiale­ment le 23/10/2017]

Gros grain sur l’Europe de Bruxelles et ses institutions aux compétences et prérogatives méconnues des peuples ? Il y avait déjà la Hongrie, la Slovaquie et la Pologne. La France au printemps, l’Allemagne cet automne. Et maintenant l’Autriche. Dans tous ces pays, les peuples votent de manière significative pour des partis populistes ou les portent au pouvoir. Des partis un peu vite qualifiés d’extrême-droite sous prétexte qu’ils sont souverainistes, opposés à l’immigration de masse et doutent des bienfaits du développement de l’islam sur le continent européen. Dernier cas en date, l’Autriche. Qu’en pensent les médias français ? Peu de choses, à vrai dire.

Dimanche 15 octo­bre 2017, six mil­lions d’électeurs autrichiens sont appelés aux urnes afin d’élire leurs députés. Des médias s’en font vite l’écho puisque l’extrême-droite risque de revenir au pou­voir dans ce pays, dans le sil­lage de Sébas­t­ian Kurz, jeune et bril­lant con­ser­va­teur mem­bre du par­ti chré­tien démoc­rate (OVP), âgé de seule­ment 31 ans et large­ment don­né favori. L’émission de France 3 ani­mée par Fran­cis Letel­li­er, Dimanche en Poli­tique, s’en fait l’écho dès le midi. En ce dimanche, cha­cun sait que les jeux sont faits d’avance : Sébas­t­ian Kurz vir­era le soir en tête. La ques­tion est alors celle-ci : « va-t-il choisir de s’allier avec l’extrême-droite pour gou­vern­er ? ». Une ques­tion qui devient vite un fait d’actualité une fois les résul­tats con­nus. D’autant que Kurz, amené à devenir le plus jeune chef de gou­verne­ment du monde, a repris à son compte des thèmes majeurs de l’extrême-droite (FPO), comme le refus de voir l’Autriche per­dre son iden­tité. France 3 insiste d’ailleurs sur le fait que l’Europe est touchée par « la mon­tée des par­tis anti-migrants ». Une expres­sion surprenante.

Un dimanche soir électoral en Europe ?

C’est générale­ment un dimanche soir de rejet mas­sif des poli­tiques européennes sociales-libérales lib­er­taires mis­es en œuvre depuis plus de 30 ans. Les raisons en sont nom­breuses. Elles sont rarement analysées en pro­fondeur dans les médias français (de crainte que de telles analy­ses ne tra­vail­lent à con­tester les poli­tiques en ques­tion ?). Le JT de France 3 du soir pro­longe l’analyse de l’émission poli­tique du midi sur le thème : « L’Autriche va-t-elle être dirigée par une coali­tion inclu­ant l’extrême-droite ? ». En effet, le par­ti con­ser­va­teur chré­tien démoc­rate de Sébastien Kurz arrive en tête comme prévu (presque 32 % des voix) tan­dis que le FPO est de peu en troisième posi­tion (26 % des voix). C’est ce par­ti qui est car­ac­térisé comme étant un par­ti « d’extrême-droite » sans qu’ici, comme partout en Europe, aucun média ne prenne réelle­ment la peine de réfléchir à la sig­ni­fi­ca­tion de ce qual­i­fi­catif, l’utilisant plutôt comme épou­van­tail. Ce même 15 octo­bre au soir, l’information passe en boucle sur Fran­ce­in­fo : un jeune con­ser­va­teur est en passe de diriger l’Autriche sur la base d’une alliance avec une extrême-droite dont il reprend les prin­ci­pales thématiques.

Lendemains et gueule de bois ?

Les Unes des jour­naux du lende­main par­lent par­fois de la vic­toire des con­ser­va­teurs et de la per­cée du FPO en Autriche. Le pays « risquant » d’être gou­verné par une coali­tion entre ces deux par­tis ayant réu­ni 6 électeurs sur 10, et les soci­aux-démoc­rates étant dis­crédités bien qu’ayant évité le désas­tre élec­toral (27 % des voix). Cepen­dant, une actu­al­ité plus brûlante occupe la majeure par­tie des pages : le prési­dent Macron s’est exprimé à la télévi­sion. Le sup­posé risque des pop­ulismes est bien présent mais comme d’autres actu­al­ités parais­sent plus impor­tantes, cela passe en sec­onde posi­tion. En 5e page pour Le Figaro de ce lun­di 16 octo­bre 2017. Le quo­ti­di­en insiste sur la per­son­nal­ité de Kurz et sur le fait qu’une majorité des électeurs ont avant tout voté pour l’homme. Le Figaro con­sid­ère aus­si que « rien n’est joué » puisque toutes les com­bi­naisons sont pos­si­bles en ter­mes de coali­tion : « les négo­ci­a­tions s’annoncent rudes et pour­raient dur­er ». Cepen­dant, le quo­ti­di­en tend à penser que l’Autriche se dirige vers une alliance OVP/FPO, au vu des posi­tions pris­es par Kurz sur la poli­tique migra­toire européenne, le ter­ror­isme et l’Islam. Avec le « mas­sacre eth­nique des musul­mans Rohingyas », l’entretien télévisé de Macron et l’hashtag « #bal­ance­ton­porc », Libéra­tion n’a pas de place en Une pour évo­quer ce « péril » qu’il entrevoit habituelle­ment plus aisé­ment. Les Unes sont affaire de pri­or­ité. En page 7, le quo­ti­di­en de Lau­rent Jof­frin indique que « droite et extrême droite sont au plus haut ». Pour Libéra­tion aus­si, OVP et FPO sem­blent devoir gou­vern­er ensem­ble mais rien n’est joué. Quant au Monde daté du mar­di 17 octo­bre, il indique qu’en Autriche « l’extrême droite est en embus­cade ». Le quo­ti­di­en du soir insiste sur la « posi­tion très dure » du futur jeune chance­li­er au sujet des migrants, et min­imise la per­cée du FPO, auteur d’un bon score mais « qui n’est pas his­torique ». Le Monde doute que Kurz se tourne vers un FPO « ami de Marine Le Pen » et dont la presse a ressor­ti de sup­posées accoin­tances avec « le néo-nazisme ». Rien que de très habituel dans ce quo­ti­di­en. Une con­clu­sion opti­miste : « Le pays a voté mais les jeux ne sont pas encore faits ». Il est éton­nant que la rédac­tion du quo­ti­di­en dit de référence ne s’aperçoive pas du car­ac­tère peu démoc­ra­tique d’une telle conclusion.

Et dans la semaine ?

Ain­si, la majeure par­tie des médias étaient dans l’attente des négo­ci­a­tions pour for­mer la coali­tion. Il en était ain­si dès le lun­di 17 octo­bre sur les chaînes d’information en con­tin­ue et dans les stu­dios de France Inter, Europe 1, RMC ou RTL. Peu de paroles dif­férentes. L’Humanité du lun­di 17 octo­bre qui annonce claire­ment sa couleur : « Entre pop­ulisme xéno­phobe et racisme assumé, c’est le repli sur soi qui l’a emporté hier soir en Autriche lors de lég­isla­tives anticipées ». L’analyse est là aus­si clas­sique : le quo­ti­di­en com­mu­niste a un besoin vital d’une présence forte de l’extrême droite s’il veut con­tin­uer à sur­vivre. Pour­tant, le quo­ti­di­en forte­ment sub­ven­tion­né n’analyse pas plus les caus­es des résul­tats de ces élec­tions que ses con­frères : il ne viendrait à l’idée de presque per­son­ne en France de dire que les électeurs autrichiens, pas plus racistes que le com­mun des mor­tels européens, ont sim­ple­ment exprimé le souhait de voir leur iden­tité pour­suiv­re son chemin. Le quo­ti­di­en Présent du mar­di 17 octo­bre est plus explicite, rap­pelant qu’en 2015 « près de 900 000 migrants ont tra­ver­sé l’Autriche, pays de 8,6 mil­lions d’habitants ». Cette infor­ma­tion qui aide à com­pren­dre la sit­u­a­tion n’est reprise dans aucun média offi­ciel. Comme la plu­part des autres médias, les heb­do­madaires évo­quent rapi­de­ment ou pas les résul­tats des élec­tions en Autriche. Pas un mot dans Valeurs Actuelles papi­er mais l’hebdomadaire a évo­qué la sit­u­a­tion à deux repris­es sur son site web, dans l’attente de l’alliance « avec le FPO » que Sébas­t­ian Kurz s’apprête à sor­tir de son jeune cha­peau. Con­cen­tré sur le « har­cèle­ment sex­uel », L’Obs ne sait plus guère où se situe l’Autriche tan­dis que L’Express et Le Point met­tent en Une des sujets autrement préoc­cu­pants. « New York la rebelle », pour le pre­mier ; « La vérité sur le sucre », pour le sec­ond. Il est vrai que L’Express avait dès le 15 octo­bre pub­lié une analyse sur son site : « Autriche : com­ment l’extrême droite est rev­enue aux portes du pou­voir ? ». Un retour qui serait dû « à une dédi­a­boli­sa­tion à marche for­cée ». Par con­tre, Minute et L’Action Française pro­posent des analy­ses fouil­lées des résul­tats. Le pre­mier donne deux pleines pages de son cor­re­spon­dant à Vienne, lequel analyse au cordeau la sit­u­a­tion. En clair : « La majorité silen­cieuse s’est enfin exprimée ». L’Action Française datée du jeu­di 19 octo­bre estime quant à elle que « L’Autriche va infléchir l’Europe » en favorisant une mod­i­fi­ca­tion des équili­bres internes à l’Union Européenne. Là aus­si, une analyse sachant de quoi elle par­le, analyse qui mon­tre par ailleurs com­bi­en les médias offi­ciels français sont inca­pables de saisir ce qui se passe en Autriche, mais aus­si en Pologne, Hon­grie ou Slo­vaquie par sim­ple incul­ture parisiano-cen­trée. Causeur s’interroge de la même manière sur une réori­en­ta­tion de l’Europe, dans l’hypothèse où l’Autriche se tourn­erait vers le groupe de Visegrad.

Que conclure ?

À l’évidence, la majorité des médias français avaient d’autres loups dan­gereux à traiter que la droiti­sa­tion de l’Autriche en cette semaine du 16 au 20 octo­bre 2017, en la per­son­ne d’Harvey Wein­stein et d’Emmanuel Macron. Mais ce n’est sans doute pas la seule rai­son de la super­fi­cial­ité de la majeure par­tie des analy­ses pro­posées. Une rai­son réside dans la mécon­nais­sance de cette pour­tant proche région du monde qui car­ac­térise nos médias, et ce dès les écoles de jour­nal­isme. Une autre vient du sché­ma parisien de pen­sée de nos médias, dans l’incompréhension devant la non appari­tion d’un « front répub­li­cain autrichien » ou de quelque chose de cette sorte à Vienne. Une incom­préhen­sion trans­for­mée en un silence et une attente gênés. Ain­si le 19 octo­bre 2017, seule RFI rend compte de la « très faible mobil­i­sa­tion con­tre une coali­tion d’extrême droite » : appelés à se rassem­bler à Vienne par nom­bre d’associations, les autrichiens motivés pour lut­ter con­tre la droiti­sa­tion de leur pays étaient… « une soix­an­taine ». Ce n’est pas une infor­ma­tion du Gorafi mais de RFI, et l’on com­prend alors le silence embar­rassé des « élites médi­a­tiques parisi­ennes ». Une seule note pos­i­tive dans cette décon­fi­ture des médias français quant à l’Autriche : l’intérêt et le sérieux de la chronique de Brice Cou­turi­er sur le sujet, sur France Cul­ture le 18 octo­bre 2017 : « Autriche, la vic­toire d’un pop­ulisme à vis­age humain ». À écouter.

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