La presse sportive en France, bien qu’elle représente une petite part du marché global, est un secteur en pleine évolution, marqué par des défis structurels.
Dans ce dossier, nous évoquerons l’état de ce secteur, caractérisé par le monopole d’un groupe, les enjeux de la numérisation, la place des paris sportifs, et nous mettrons en perspective la presse française par rapport à nos voisins européens.
La presse sportive française, estimée à environ 0,7–0,8 % de la diffusion payée totale en 2024, reste dynamique grâce à l’engouement majoritaire pour le football. Selon l’Alliance pour les chiffres de la presse et des médias (ACPM), la diffusion payée totale s’élevait à 2,6 milliards d’exemplaires en 2024, en baisse de 1,6 % par rapport à 2023 (ACPM — Diffusion et Fréquentation de la Presse — DSH 2023/2024). Le secteur n’échappe donc pas à la tendance baissière de la presse écrite. Cette mutation, accélérée par la transition numérique, soulève des questions sur l’avenir des supports traditionnels. Ainsi, L’Équipe a entamé un virage en la matière et tente d’adapter son offre tout en réalisant des économies.
Dans un pays marqué par le monopole du groupe Amaury, propriétaire du titre L’Équipe, et où le football est roi, la bataille pour la part du marché de la presse sportive pourrait être bouleversée par le numérique et par la place croissante des paris sportifs.
Presse sportive écrite : un déclin naturel
La presse sportive écrite connaît un déclin marqué. Selon un rapport de Businesscoot daté d’avril 2024, la diffusion payée s’élevait à environ 18 millions d’exemplaires en 2022, représentant 0,77 % de la diffusion payée totale. En 2023, la diffusion totale de la presse française était de 2,7 milliards d’exemplaires, en baisse de 4,6 % par rapport à 2022, reflétant une tendance générale de recul dans le secteur. En 2024, avec une diffusion payée totale de 2,6 milliards d’exemplaires, la presse sportive pourrait représenter environ 18–20 millions d’exemplaires, en supposant une part similaire. Les recettes publicitaires, affectées par la crise sanitaire, continuent de baisser, mais les revenus numériques, en hausse de 33 % entre 2019 et 2022 selon Businesscoot, compensent partiellement cette perte.
La crise sanitaire a été particulièrement difficile pour le secteur sportif, avec l’arrêt prolongé des compétitions et une perte massive de gains publicitaires. Le développement fulgurant du numérique depuis deux décennies ouvre néanmoins des perspectives pour le secteur.
Presse généraliste, presse spécialisée et tendances politiques
La presse généraliste, comme Le Monde ou Le Figaro, intègre des rubriques sportives mais ne concurrence pas directement les titres spécialisés. L’Équipe, quotidien leader, couvre l’actualité quotidienne, tandis qu’une revue comme So Foot adopte une approche plus culturelle, marquée à gauche, quand un titre comme Midi Olympique se focalise sur le rugby. La revue hebdomadaire L’Équipe, qui verse de manière ostensible dans une pensée unique, devenant au fil des années une sorte de Nouvel Obs du sport, traite de manière obsessionnelle des sujets comme la diversité sous toutes ses formes. Elle s’est progressivement différenciée du journal, qui, sans être un chef‑d’œuvre de journalisme, s’en tient à des éléments plus factuels, bien qu’ayant perdu en qualité, abandonnant les descriptions des sports et des ambiances pour privilégier des commentaires souvent laborieux sur les transferts et les « à‑côtés » du sport. Le monde du sport est traversé par des débats politiques qui font écho à ceux du pays, et un journaliste comme Daniel Riolo, grande gueule du football français, sera ainsi classé plutôt à droite par ses détracteurs.
La spécialisation, avec des magazines comme Vélo Magazine pour le cyclisme, fidélise les passionnés, mais la dépendance aux ventes individuelles (65 % de la diffusion payée en 2022) rend ces revenus instables et sensibles à la conjoncture. Le marché du sport demeure ainsi la chasse gardée d’une presse spécialisée, mais celle-ci est en pleine révolution avec l’arrivée d’acteurs gratuits en ligne.
Prix : qui veut payer pour du sport ? L’offensive du numérique « gratuit »
Le prix des journaux sportifs reste abordable, avec L’Équipe à environ 2–3 euros par exemplaire. Les abonnements numériques, souvent combinés à des offres papier, gagnent en popularité, avec des prix annuels variant de 35 à 67 euros pour des magazines spécialisés comme Tennis Magazine. La distribution physique, gérée par France Messagerie depuis 2020, repose sur les ventes individuelles, mais la baisse des abonnements physiques (-5 % entre 2021 et 2022) fragilise le modèle.
À côté des titres historiques papier, la consommation de presse sportive numérique explose. En 2024, l’ACPM rapporte 78 millions de visites quotidiennes sur les sites et applications de presse, dont 85 % via mobile. L’Équipe.fr dominait avec 82 millions de visites en juin 2024. Plus de 70 % de ses lecteurs consultent ses contenus en ligne, montrant une adoption massive, surtout chez les 25–49 ans. Néanmoins, le journal historique doit faire face à une concurrence accrue, notamment en matière de football, où une presse dopée aux contenus dits « putaclic » aguiche le chaland avec des titres sensationnels et un contenu souvent repris de L’Équipe ou d’autres journaux européens.
Selon l’ACPM, les hommes représentent 84 % des lecteurs de L’Équipe, et la tranche d’âge de cette audience est plutôt rassurante pour le titre : 37 % des lecteurs ont entre 25 et 49 ans. Les réseaux sociaux, bien que populaires, restent secondaires pour l’information sportive, même si la présence des médias sur ces plateformes est indispensable.
Prédominance du football et monopole du groupe Amaury
Pour L’Équipe, la transition numérique cache un enjeu majeur : maintenir le monopole du groupe Amaury dans le secteur. Ce groupe, également organisateur du Tour de France, a essuyé des pertes d’annonceurs avec la mutation vers le numérique, mais les revenus en ligne, notamment grâce aux paris sportifs, compensent partiellement le déclin du papier.
Le groupe Amaury, via L’Équipe, France Football, Vélo Magazine et Golf Magazine, domine la presse sportive française. L’Équipe, héritier de L’Auto depuis 1946, bénéficie d’une diffusion payée par numéro largement supérieure à ses concurrents. Cependant, la concurrence des acteurs 100 % numériques, comme Eurosport ou Foot Mercato, et le piratage (290 millions d’euros de pertes annuelles pour le sport en 2024, selon l’Arcom) compliquent la monétisation. Les IPTV, en plein essor, captent 37 % des spectateurs de Ligue 1, défiant les offres légales comme DAZN, qui a finalement jeté l’éponge, menaçant le football professionnel français.
Le football, qui vacille, met en péril tout l’édifice des médias sportifs. En effet, ce sport accapare l’offre et la demande médiatique dans le petit monde du sport en France. Près de 70 % des paris sportifs concernent le rectangle vert, selon une étude de l’ANJ (Autorité de régulation des jeux en ligne) datée de 2023, une tendance accrue lors d’événements comme l’Euro ou la Coupe du monde. L’Équipe ne déroge pas à la règle et relaie abondamment la publicité autour des paris sportifs.
Paris sportifs : entre tabou et machine à cash lucrative
Depuis la légalisation des paris sportifs en ligne en 2010 via l’Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL, devenue ANJ en 2020), les paris sportifs ont pris une place croissante dans les médias sportifs, soulevant des questions éthiques et économiques. Devenus un levier économique majeur, ils auraient généré, selon l’ANJ, 10,7 milliards d’euros de mises en 2021, un chiffre en hausse avec des événements comme les JO de Paris 2024. Des journaux et sites comme L’Équipe intègrent des sections dédiées aux cotes, pronostics et partenariats avec des opérateurs comme Betclic ou Winamax. Ces collaborations se traduisent par des publicités, des articles sponsorisés ou des rubriques comme « Les bons plans paris » sur le site de L’Équipe. Cette intégration répond à une demande du public, mais brouille la frontière entre journalisme et marketing.
Les paris sportifs ont permis de compenser la baisse des ventes papier, et les partenariats avec les opérateurs atténuent la chute des abonnements. Cependant, cette dépendance financière pose un risque d’autocensure. Par exemple, les critiques des pratiques des opérateurs (addiction, manipulation de cotes) sont rares dans les grands titres, ce qui peut nuire à l’indépendance éditoriale. So Foot, plus indépendant, aborde parfois ces dérives, mais reste une exception. L’ANJ rapporte que 400 000 joueurs en France présentent un risque d’addiction, tandis que des scandales, comme les soupçons de matchs truqués en football, handball ou tennis, ternissent l’image de sports déjà affectés par des affaires de dopage.
L’enjeu pour la presse sportive, si elle veut rester indépendante, sera de ne pas se soumettre entièrement aux acteurs économiques des paris en ligne.
RMC : la transition numérique réussie d’une radio sportive
Dans le paysage médiatique sportif, la radio a longtemps eu une place centrale depuis les années 1920 jusque dans les années 1980, remplacée petit à petit par les écrans.
Des stations comme Europe 1 ou RMC ont construit leur identité sur des émissions sportives phares, mêlant commentaires en direct, analyses et interactions avec les auditeurs.
Mais au cours des dernières années, l’univers du sport à la radio a connu des transformations avec le développement des podcasts et d’émissions à succès. La transition vers le DAB+ (Digital Audio Broadcasting), entamée dans les années 2010, a permis une meilleure qualité sonore et une plus grande diversité de stations. Le déploiement progressif de cette technologie a offert aux radios sportives l’opportunité de proposer des contenus plus spécialisés, notamment via des webradios dédiées à des disciplines spécifiques comme le football ou le rugby. Par exemple, Radio France a lancé en 2004 une webradio sportive, marquant un tournant dans l’offre numérique. Parallèlement, l’essor des podcasts a transformé les habitudes d’écoute.
Avec plus de 3 millions d’auditeurs quotidiens, la radio RMC se place en véritable leader du secteur a su capitaliser sur sa couverture sportive pour devenir un acteur incontournable, notamment grâce à des émissions emblématiques comme L’After Foot, Super Moscato Show et Rothen s’enflamme.
Ces programmes, mêlant analyses, débats passionnés et interactions avec les auditeurs, ont contribué à faire de RMC la première radio privée de France sur les podcasts, avec près de 30 millions d’écoutes mensuelles. L’After Foot, en particulier, est devenu le podcast le plus écouté du pays en 2023, selon Médiamétrie, illustrant l’engouement pour le football et le ton de la station.
Le sport occupe une place centrale dans la grille de RMC, notamment de 15h à minuit, avec une couverture en direct des grands événements, des matchs de Ligue 1, de Ligue des Champions et d’autres compétitions.
Fort de ce succès radiophonique, RMC a franchi une nouvelle étape avec le lancement de L’After Foot TV le 7 avril 2025, une chaîne télévisée entièrement dédiée au football. Un succès qui devrait voir naître des concurrents sur ce segment de marché.
Europe : des tendances assez homogènes
En Europe, la presse sportive suit une trajectoire similaire à celle de la France, avec un recul du papier (-22 % de ventes depuis 2019) et une adoption massive du numérique. L’Espagne (Marca, As) et l’Italie (La Gazzetta dello Sport) misent sur des sites à forte audience, mais le football reste prédominant, selon des rapports de Businesscoot. Au Royaume-Uni, The Sun et Daily Mail intègrent sport et actualité, concurrençant les titres spécialisés et adoptant souvent une tonalité résolument « people ». Aux États-Unis, la presse sportive est dominée par des géants comme ESPN et Sports Illustrated, qui combinent télévision, sites web et magazines. Le marché, porté par le football américain, le basket et le baseball, bénéficie de budgets colossaux (230 milliards d’euros pour les paris sportifs en 2024, selon Sportradar), mais n’a pas une culture du papier. Ce sont souvent les journaux locaux et les plateformes numériques (Bleacher Report) qui traitent du sport, ainsi que les grands quotidiens nationaux.
La presse sportive française, confrontée au déclin du papier, s’adapte à l’ère numérique tout en maintenant une offre diversifiée. L’affaire des droits télévisés du football, avec la défection du diffuseur DAZN, pourrait plonger le ballon rond dans une crise sans précédent et, par ricochet, l’ensemble du secteur de la presse sportive, hautement dépendant de ce sport.
Le marché français des médias sportifs semble aujourd’hui à la croisée des chemins, avec le développement de sports comme le MMA ou de compétitions comme la King’s League, un football en salle revisité pour le numérique. Le monopole de L’Équipe tient bon, mais l’arrivée de concurrents dans un secteur en mutation pourrait changer la donne, d’autant que la France est loin d’avoir autant développé la digitalisation qu’un marché comme celui des États-Unis, souvent précurseur en matière de divertissement.
Rodolphe Chalamel
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