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Débat sur la Loi Asile et immigration : les médias « petits télégraphistes » des députés dissidents En marche ?

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11 avril 2018

Temps de lecture : 7 minutes
Accueil | Veille médias | Débat sur la Loi Asile et immigration : les médias « petits télégraphistes » des députés dissidents En marche ?

Débat sur la Loi Asile et immigration : les médias « petits télégraphistes » des députés dissidents En marche ?

Temps de lecture : 7 minutes

Il y a quelques décennies, François Mitterrand employait le terme de « petit télégraphiste » pour qualifier le Président de la République de l’époque. Dans la couverture des réticences de quelques députés dans le débat parlementaire en cours sur la Loi Asile et immigration, le même empressement à relayer certaines opinions semble saisir de nombreux journalistes.

Alors que ce débat pourrait être l’occasion d’un échange et d’une confrontation d’arguments par médias interposés, nombre de ceux-ci semblent se contenter d’être des porte-voix de députés frondeurs En marche et, plus globalement, des citoyens favorables à une « humanisation » de la loi portée par le Ministre de l’intérieur. Au point que ce prisme presque obsessionnel aboutit à qualifier cette loi de répressive alors qu’à bien des égards, elle ne l’est pas.

Illustration dans la couverture des médias entre le 3 et le 7 avril 2018.

Pour Le Parisien, la ques­tion le 4 avril est « com­ment les députés LREM “human­isent” le texte de Col­lomb ». Libéra­tion décrit les « désac­cords tenaces à LREM » entre la ligne gou­verne­men­tale et quelques députés dis­si­dents. Le Huff­post relate le fait que « la députée Sonia Kri­mi (En Marche) décerne “l’award du hors sujet” » à un autre élu LREM favor­able à une appli­ca­tion stricte de la réten­tion admin­is­tra­tive des mineurs. Le Télé­gramme titre sur la « Loi asile-immi­gra­tion : Il faudrait que le texte évolue ». Le député fin­istérien Erwan Bal­anant (MoDem) est inter­rogé par le quo­ti­di­en bre­ton. Il fait par­tie des députés qui por­tent un regard vig­i­lant sur le pro­jet de loi. «  Il y a une volon­té com­mune : “trans­former notre accueil et le ren­dre plus effi­cace” ».

Sur France Info, on peut enten­dre le 5 avril qu’« une ving­taine de “marcheurs” ont protesté notam­ment con­tre un point con­tro­ver­sé du texte, la réduc­tion d’un mois à quinze jours du délai pour faire appel d’un rejet par  l’Of­fice français de pro­tec­tion des réfugiés et apa­trides ».

Alpes 1 titre sur « Alpes de Haute-Provence : loi asile et immi­gra­tion, Del­phine Bagar­ry pour­rait vot­er con­tre ». « Une par­tie du texte est con­testée par la députée (LREM) des Alpes de Haute-Provence, et pour­rait remet­tre en ques­tion son vote en faveur du texte ».

On pour­rait mul­ti­pli­er les exem­ples du prisme défor­mant de nom­breux médias qui réduit le débat aux thèmes posés par les députés fron­deurs En marche.

Une opposition au projet minoritaire mais largement relayée dans les médias

Plus large­ment, la con­tes­ta­tion du pro­jet de Loi trou­ve un écho amplifi­ca­teur dans de nom­breux organes de presse et radios.

Le Jour­nal des idées de France Cul­ture accueille le 5 avril François Héran, directeur de recherch­es à l’Institut nation­al d’études démo­graphiques. L’article écrit sur le site de l’émission de la radio publique reprend des pas­sages des revues Études et Mou­ve­ments très cri­tiques sur le pro­jet de Loi. L’intervention du démo­graphe sem­ble avoir comme objec­tif majeur de minor­er le phénomène migra­toire en cours.

Le JDD donne le 7 avril la parole à Anne Hidal­go « “La crise ne va pas s’ar­rêter dans 3 mois avec l’adop­tion d’une loi très restric­tive” ». Tout le monde est avide de ses solutions…

Dans Libéra­tion, « Ade­line Haz­an martèle son oppo­si­tion à la loi asile et immi­gra­tion ». « Cette fois, c’est à la prési­dente de la com­mis­sion des lois, la députée LREM Yaël Braun-Pivet, qu’a écrit la con­trôleure générale des lieux de pri­va­tion de lib­erté, Ade­line Haz­an ».

Europe 1 insiste sur le fait que « le pro­jet de loi asile et immi­gra­tion prévoit d’al­longer la durée max­i­male des séjours en réten­tion pour les sans-papiers, alors que les cen­tres sont déjà surpe­u­plés ».

La presse quo­ti­di­enne région­al offre égale­ment un beau flo­rilège : Ouest France relate une man­i­fes­ta­tion d’opposants au pro­jet de Loi à Caen et annonce (bat le rap­pel pour ?) celle organ­isée à Rennes le 7 avril. Pour sa cou­ver­ture de la man­i­fes­ta­tion à Paris qui a réu­ni 100 per­son­nes, le quo­ti­di­en région­al titre : « Loi asile immi­gra­tion. “Ce n’est pas une loi, c’est une con­damna­tion”, selon des man­i­fes­tants ». Infor­ma­tion ou répéti­tion des slogans ?

Le jour­nal Sud Ouest cou­vre une man­i­fes­ta­tion rassemblant…50 per­son­nes : « Bor­deaux : man­i­fes­ta­tion ce mer­cre­di con­tre le pro­jet de loi “asile et immi­gra­tion” » et le 6 avril «  une journée de réflex­ion sur l’accueil des migrants » au Pays basque.

Le lobbying médiatique obtient satisfaction

La chaine TV5 réca­pit­ule le 7 avril les reculs du gou­verne­ment en com­mis­sion par­lemen­taire par rap­port au pro­jet de loi ini­tial : réduc­tion de la durée de la réten­tion admin­is­tra­tive à un max­i­mum de 90 jours (et non plus 135 jours, comme le voulait le gou­verne­ment), délai de recours des « dublinés » (migrants enreg­istrés dans un autre pays européen) con­tre les trans­ferts main­tenu à 15 jours (au lieu de 7), etc. À une liste déjà longue, Le Monde ajoute la dépé­nal­i­sa­tion par­tielle du « délit de sol­i­dar­ité ».

Tout ou rien, vraiment ?

Devant le con­cert de protes­ta­tion ample­ment entretenu et ampli­fié par de nom­breux médias nationaux et régionaux, on pour­rait croire que la France va dur­cir des mesures déjà très restric­tives, qui aboutiront à la remise en cause du droit d’asile. En diver­si­fi­ant les sources d’informations, la sit­u­a­tion sem­ble plus com­plexe et les enjeux plus larges que ceux présen­tés dans les médias mainstream.

Les constats

En 2015, Le Figaro dévoilait un rap­port de la Cour des comptes sur l’asile qui pointait le fait que les deman­des d’asile représen­taient « une nou­velle fil­ière d’im­mi­gra­tion ». Les rap­por­teurs ajoutaient que l’asile poli­tique en France était « insouten­able à court terme ».

Le site d’information Atlanti­co soulig­nait égale­ment à l’époque un autre con­stat du rap­port : le coût lié à ces deman­des a explosé : « 2 mil­liards d’eu­ros y sont con­sacrés chaque année ». « Plus l’in­struc­tion est lente, plus l’éloigne­ment est dif­fi­cile (…) ».

Plus proche de nous, Le Figaro con­sacre le 4 avril 2018 un dossier sur les deman­des d’asile. Par­mi les déboutés du droit d’asile et clan­des­tins présents sur le ter­ri­toire, « quelque 90 000 mesures d’éloignement ont été pronon­cées en un an », mais «  75 000 per­son­nes se main­ti­en­nent chaque année sur le ter­ri­toire nation­al, mal­gré la mesure d’éloignement pronon­cée à leur encon­tre ». Le quo­ti­di­en chiffre par ailleurs à 80 000 les « non admis­sions » pronon­cées aux fron­tières en 2017. Un graphique nous mon­tre égale­ment l’évolution du nom­bre de titres de séjours délivrés, qui est passé de 193 000 en 2012 à 262 000 en 2017.

Le 5 avril, Éric Zem­mour chronique un livre d’un ancien juré à la Cour nationale du droit d’asile. On y apprend que « dans les vingt années qui ont suivi la sig­na­ture de la con­ven­tion de Genève sur le droit d’asile, en 1951, la France a reçu trois cents deman­des d’asile par an ». A rap­procher aux 121 000 deman­des d’asile déposées en 2017. Ce qui fait dire au chroniqueur que « ce ne sont plus des indi­vidus qui deman­dent l’asile, ce sont des peu­ples ». Pour­tant, l’urgence que l’on entend comme une ritour­nelle dans les médias est qu’il faut faciliter l’accès à un droit d’asile en pleine croissance.

En guise de con­clu­sion, le jour­nal­iste vedette du Figaro con­te une légende :

« Lorsque les con­quis­ta­dors de Cortés débar­quèrent sur leurs ­superbes chevaux, les Aztèques crurent voir s’accomplir une de leurs légen­des prophéti­sant que leur sauveur arriverait par la mer sur une mon­ture céleste. Cette légende empêcha les Aztèques de se défendre con­tre leurs envahisseurs. Ils furent vain­cus et colonisés. Notre droit d’asile, et plus générale­ment notre reli­gion des droits de l’homme, c’est notre légende des Aztèques ». Nom­bre de médias accrédi­tent cette légende par leur cou­ver­ture des débats en cours.

Crédit pho­to : Car­los Y via Flickr (cc)