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Coronavirus et tracking dans les médias : tu seras tracé et tu aimeras ça

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18 avril 2020

Temps de lecture : 7 minutes
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Coronavirus et tracking dans les médias : tu seras tracé et tu aimeras ça

Temps de lecture : 7 minutes

Toutes les sociétés de contrôle et de limitation des libertés individuelles naissent d’un motif sécuritaire. De même, aucune société de contrôle ne se met en place sans l’assentiment de ses « élites » et le consentement d’une majorité de sa population. Est-ce cela qui se met progressivement en place du fait du coronavirus en France ? L’OJIM ne pouvait que suivre tout ce qui risque de mettre en cause nos libertés, première petite revue de presse.

Depuis plusieurs semaines et les affir­ma­tions réitérées selon lesquelles cela aurait fonc­tion­né dans des sociétés telles que Sin­gapour, le gou­verne­ment français envis­age de plus en plus d’instaurer le track­ing dans le cadre de la lutte con­tre l’épidémie de coro­n­avirus. Il y a eu un sem­blant de « débat » en son sein, le pou­voir poli­tique affir­mant réfléchir, vouloir être cer­tain que cela n’irait pas à l’encontre des lib­ertés indi­vidu­elles et peu à peu l’idée ayant fait son chemin, elle sem­ble s’imposer. En par­ti­c­uli­er dans des médias que l’esprit cri­tique sem­ble avoir déserté.

Dans les jours qui ont suivi l’allocution du Prési­dent de la République du lun­di 13 avril, les regards se sont con­cen­trés sur « l’horizon du 11 mai », d’un décon­fine­ment poten­tiel et de la remise en route des écoles. Mais le prési­dent avait aus­si évo­qué la ques­tion du track­ing, indi­quant que cela était envis­age­able, et à l’étude, sous cer­taines con­di­tions. Il n’est pas inin­téres­sant de not­er qu’une pra­tique à même de lim­iter les lib­ertés indi­vidu­elles, ici la lib­erté de cir­cu­la­tion, n’a pas été con­sid­érée comme l’élément essen­tiel de l’allocution, dans un con­texte où le gou­verne­ment avait déjà mon­tré sa volon­té de fix­er des lim­ites, par exem­ple avec la loi Avia. Notons aus­si que depuis le 15 avril 2020, le même gou­verne­ment com­mu­nique sur les risques que feraient peser des groupes d’ultra gauche sur la France, des risques « révo­lu­tion­naires ». Une pandémie dif­fi­cile à juguler, des risques de révo­lu­tion, un sys­tème de con­trôle disponible, une pop­u­la­tion habituée à ne plus cir­culer et ayant inté­gré un besoin d’être pro­tégée, quoi de mieux pour installer une société de contrôle ?

Fran­ce­in­fo, le jeu­di 16 avril, indique que la mise en œuvre du « suivi » ou traçage de la pop­u­la­tion est une réus­site en Corée du Sud où la pop­u­la­tion n’a pas été con­finée et où il n’y a que 229 morts env­i­ron. Per­son­ne n’indique que les sociétés asi­a­tiques du Sud-Est, con­fucéennes et boud­dhistes, ne fonc­tion­nent pas selon des rap­ports à autrui iden­tiques aux nôtres. Il n’y pas d’application mais l’utilisation des bor­nages des smart­phones four­nis par les opéra­teurs télé­phoniques en Corée du Sud. L’exemple est mon­tré de manière extrême­ment pos­i­tive. Insis­tance au sujet de la France : l’application envis­agée con­sis­terait à échang­er des don­nées entre smart­phones, indi­quant si l’on croise un malade ou pas, et le gou­verne­ment ou les GAFAM ne pour­raient pas « con­serv­er les don­nées ». Qui peut sérieuse­ment y croire? L’exemple le plus mis en avant est en réal­ité celui de Sin­gapour : « De son côté, Sin­gapour a dévelop­pé l’ap­pli­ca­tion Trace­To­geth­er. Fonc­tion­nant sur la base du con­sen­te­ment des util­isa­teurs, elle utilise la tech­nolo­gie Blue­tooth pour iden­ti­fi­er et enreg­istr­er les télé­phones situés à prox­im­ité. Si un cas de Covid-19 est con­fir­mé, le télécharge­ment des don­nées vers un serveur devient obligatoire. »

Plus tôt dans la journée, « Le monde est à vous », sur Fran­ce­in­fo, fai­sait preuve d’un esprit cri­tique éton­nement lim­ité, la jour­nal­iste affir­mant qu’avec l’application envis­agée par la France « il n’y a pas de géolo­cal­i­sa­tion automa­tique par GPS » et qu’il « n’est pas ques­tion d’avoir accès à vos don­nées per­son­nelles ».

En réal­ité, la sur­veil­lance des smart­phones et le traçage des indi­vidus n’est pas une nou­veauté, ain­si que le révélait le New York Times dans une enquête rap­portée par Valeurs Actuelles le 27 décem­bre 2019. L’enquête mon­trait que des dizaines de start-up dans le monde recueil­lent des don­nées de smart­phones par géolo­cal­i­sa­tion et vendent des fichiers à des ser­vices de ren­seigne­ment, des gou­verne­ments ou à des entre­pris­es. Le New York Times mon­trait des dizaines de mil­liers de points jaunes, en temps réel, sur une image de la ville, les smart­phones tracés par les entre­pris­es en ques­tion, et indi­quait que la police de Lon­dres s’était déjà procurée l’application.

Par ailleurs, ce traçage per­met d’installer des appli­ca­tions sans que les pro­prié­taires des smart­phones n’en soient infor­més. Le traçage des pop­u­la­tions n’a ain­si pas atten­du le coro­n­avirus pour être envis­agé, cela pour­rait ressem­bler à un prétexte.

Qu’en disent d’autres médias (pour l’instant) ?

Pour le Huff­post, habituelle­ment soucieux de défendre les lib­ertés et les désirs indi­vidu­els de toutes sortes, le débat est sec­ondaire : « Le pro­jet du gou­verne­ment de traçage des indi­vidus par le télé­phone a provo­qué un débat nour­ri, opposant les ten­ants du recours à la tech­nolo­gie comme moyen de lutte con­tre l’épidémie de coro­n­avirus, et ceux qui esti­ment que le risque pour les lib­ertés indi­vidu­elles serait trop grand. Au-delà de ce débat, il faut s’interroger sur l’efficacité d’un tel dis­posi­tif. » Le mag­a­zine ne défend pas l’idée d’une sur­veil­lance mais ne la rejette pas, si elle est efficace.

Le 16 avril Le Monde s’interroge : « Faut-il avoir peur de Stop­Covid, l’application de « trac­ing » voulue par le gou­verne­ment ? Com­ment fonc­tion­nera l’application pour trac­er les malades et leurs con­tacts, et existe-t-il des risques pour la pro­tec­tion de nos données ? »
Là aus­si la for­mu­la­tion du titre indique un fait acquis, même si l’article et le pod­cast tem­pèrent (légère­ment). Le Monde l’indique : l’État ne suiv­ra pas chaque indi­vidu. Le jour­nal sem­ble en être con­va­in­cu. Nous seri­ons pro­tégés grâce à un anony­mat sous forme de matricule. Ras­sur­ant. Pour l’instant, Le Monde con­sid­ère que « sur le papi­er cela peut marcher » mais qu’il y a encore « beau­coup de si ». L’application « trans­forme les cas en points », exacte­ment ce que révélait le New York Times con­cer­nant le con­trôle déjà en œuvre par le biais des smart­phones. Pour le quo­ti­di­en, ce sys­tème « pro­tégerait bien plus notre vie privée que par exem­ple Google maps ». Il y a cepen­dant « des risques » donc « il vaut mieux le faire bien ». L’existence même de ce type de mode de sur­veil­lance n’est déjà plus mise en question.

Le quo­ti­di­en Les Échos est ras­suré : « Brux­elles va encadr­er les appli­ca­tions de tracking.
La Com­mis­sion européenne veut har­monis­er l’u­til­i­sa­tion des appli­ca­tions de suivi des con­tacts face au Covid-19. Après l’adop­tion d’une recom­man­da­tion mer­cre­di, une « boîte à out­ils » tech­nique doit être définie et adop­tée par les Vingt-Sept la semaine prochaine. »
Cha­cun sera heureux d’apprendre que l’Union Européenne veille sur nos libertés.

Pour Le Figaro et l’AFP, le 15 avril 2020 : « Track­ing : le gou­verne­ment veut garder la maîtrise du développe­ment face à Google et Apple ». La prob­lé­ma­tique n’est donc pas de débat­tre de la néces­sité de la sur­veil­lance par des appli­ca­tions inté­grées dans nos smart­phones mais de garder la main. Sachant que Apple et Google tra­vail­lent à un stan­dard com­mun, ce qui n’a jamais eu lieu. Cela devrait inter­peller, d’autant que l’application doit pou­voir fonc­tion­ner à l’échelle mondiale…

Le 16 avril, Fran­ce­in­fo don­nait aus­si un argu­ment mas­sue en faveur du con­trôle par le biais des smart­phones : « Le prési­dent du Grand Est y est favor­able ». À voir l’impact de ce qui s’est passé dans cette région, dans l’inconscient col­lec­tif, il n’est pas dou­teux que ce genre d’argument fera son chemin.

Par con­tre, plus per­son­ne ne relève un point qui était encore essen­tiel il y a peu, sachant que le pre­mier smart­phone a été mis en cir­cu­la­tion il y a 11 ans. La ques­tion de l’existence même de cet objet pou­vant con­duire à un con­trôle des pop­u­la­tions était en débat et nom­bre de per­son­nes se sont opposées à cette tech­nolo­gie, jusqu’à ce qu’elle devi­enne habituelle en une dizaine d’années par assen­ti­ment et con­sen­te­ment. Le 15 avril 2020, la prési­dente de la CNIL, Marie-Lau­re Denis, demande au gou­verne­ment que l’application de traçage des malades du Covid-19 soit réelle­ment « temporaire »…