Ojim.fr
Veille médias
Dossiers
Portraits
Infographies
Vidéos
Faire un don
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
Buzzfeed a une tronche de fake news

L’article que vous allez lire est gratuit. Mais il a un coût. Un article revient à 50 €, un portrait à 100 €, un dossier à 400 €. Notre indépendance repose sur vos dons. Après déduction fiscale un don de 100 € revient à 34 €. Merci de votre soutien, sans lui nous disparaîtrions.

30 janvier 2018

Temps de lecture : 5 minutes
Accueil | not_global | Buzzfeed a une tronche de fake news

Buzzfeed a une tronche de fake news

Temps de lecture : 5 minutes

Officiellement, les médias officiels, ceux qui appartiennent à une poignée de milliardaires ou promeuvent l’idéologie dominante, ne produisent pas de fake news. Au contraire, ils les combattraient. Du coup, le buzz avorté provoqué dans ces médias par une « information » publiée par Buzzfeed le 16 janvier 2017 pourrait prêter à rire si cela ne ridiculisait pas toute la profession.

Sauf Libéra­tion, étrange­ment. Les faits : le 16 jan­vi­er 2016, un jour­nal­iste de Buz­zfeed pub­lie un arti­cle inti­t­ulé « Le staff de Marine Le Pen a fab­riqué une fake news de A à Z : le Ernot­te­gate ». Un ton affir­matif, plein de cer­ti­tudes. Le cha­peau de l’article pour­suit : « Au cœur de la prési­den­tielle, des proches de Marine Le Pen ont dif­fusé le témoignage anonyme d’un homme cen­sé être jour­nal­iste à France télévi­sions dans le but de désta­bilis­er Macron. Ce jour­nal­iste n’est autre que Christophe Bouch­er, un prestataire du Front nation­al, fam­i­li­er de Marine Le Pen ». Diantre, le jour­nal­iste de Buz­zfeed, Jules Dar­manin, sem­ble avoir soulevé un énième lièvre au sujet de ce par­ti politique.

De l’art du scoop foireux

Débu­tant par la vidéo postée le 16 mars 2017 par David Rach­line sur son compte Twit­ter, l’article pour­suit : « Dans cette vidéo, on voit un témoin anonyme, cen­sé avoir fait par­tie de l’équipe de Del­phine Ernotte, prési­dente de France télévi­sion, par­ler avec une voix masquée. Ce faux employé de France télévi­sion affirme dans la vidéo que Del­phine Ernotte a été nom­mée à ce poste pour faire gag­n­er François Hol­lande à la prési­den­tielle puis, après le retrait de ce dernier, Emmanuel Macron. Il a fal­lu soutenir coûte que coûte Macron avec l’ob­jec­tif clair de faire bat­tre Marine Le Pen, dit avec une voix masquée celui qui est cen­sé être un ex-col­lab­o­ra­teur de Del­phine Ernotte. Cette vidéo sert de réplique à un sujet d’Envoyé Spé­cial, dif­fusé sur France 2 et con­sacré aux hommes de l’om­bre du Front nation­al (FN). Cette enquête avait irrité l’équipe de Marine Le Pen. Nico­las Bay, vice-prési­dent du FN, avait dénon­cé des méth­odes de voy­ou ».

Il est vrai que l’émission en ques­tion, pro­longeant un essai fraîche­ment paru de jour­nal­istes de Médi­a­part et de Libéra­tion était une émis­sion à charge tombant à pic dans la cam­pagne prési­den­tielle. Un plan com’ mil­i­tant au nom de la « démoc­ra­tie », reprenant un sem­piter­nel ser­pent de mer au sujet de deux « proches » de Marine Le Pen. Une his­toire qui sous une forme ou une autre ressort à chaque échéance élec­torale. Ce moment devenu habituel des élec­tions où 99% du milieu médi­a­tique se mobilise con­tre le « retour de la bête immonde ». Où est le scoop ? Buz­zfeed le dit : « Notre enquête mon­tre que le staff de Marine Le Pen n’a pas seule­ment dif­fusé cette fake news mais qu’il l’a aus­si fab­riqué de toutes pièces ». Un coup digne de Pou­tine en somme. Buz­zfeed sem­ble tenir son watergate.

Suit une enquête aux pré­ten­tions de sérieux, avec sources, pho­tos, cap­tures d’écran, en par­ti­c­uli­er pour mon­tr­er les liens entre le « jour­nal­iste » de la vidéo dif­fusée par Rach­line et la prési­dente du FN. L’article se ter­mine ain­si : « Enfin, si c’é­tait une par­o­die, pourquoi le FN et Christophe Bouch­er refusent-ils de répon­dre à Buz­zFeed sur ce point depuis des semaines ? »

Et Libération vint tirer la chasse d’eau

Durant 48 heures, nom­bre de médias repren­nent cette « infor­ma­tion ». À com­mencer par les médias de ser­vice pub­lic, financés par les con­tribuables. Fran­ce­in­fo dégaine même en pre­mier. Suiv­ent la majeure par­tie des médias offi­ciels, dont Europe 1 ou L’Obs. Le genre de choses qui allait envahir l’espace médi­a­tique de longues journées durant. Sauf que dans ce cas pré­cis, tout s’arrête net après 48 heures. C’est Libéra­tion qui tire la Buz­zfeed chas­se d’eau en pub­liant un arti­cle signé Cédric Math­iot inti­t­ulé Buz­zfeed et la par­o­die du FN : il existe aus­si des fauss­es fake news.

Bien sûr, le titre est un peu alam­biqué, il était aus­si sim­ple d’appeler un chat un chat et de dire que des médias ni russ­es ni alter­nat­ifs pro­duisent des fake news, Buz­zfeed devenant en cette affaire un bel exem­ple. Mais enfin, ren­dons à Libéra­tion ce qui est à Libéra­tion : le quo­ti­di­en a épinglé son con­frère, expli­quant longue­ment com­ment ce dernier s’est four­voyé en con­fon­dant par­o­die (ce qu’était de toute évi­dence la vidéo de Rach­line, et ce qui ne peut plus être con­testé) une vidéo sérieuse. Évidem­ment, la sur­prenante préoc­cu­pa­tion de Libéra­tion n’est pas anodine, ain­si que le mon­tre la con­clu­sion de l’article : « Qui veut tuer son adver­saire l’accuse de fake news, protes­tent par avance l’extrême droite et ses relais numériques. Autant dire que cette affaire tombe assez mal. Elle déverse des litres d’eau pour ali­menter un moulin qui tur­bine déjà comme une cen­trale nucléaire. Et au pas­sage, on sert sur un plateau les médias dits de réin­for­ma­tion (sic), qui se plairont à met­tre en avant qu’ils avaient pointé dix mois avant la dimen­sion par­o­dique de la vidéo que les médias dom­i­nants (re-sic) s’échinent à ne plus voir dix mois après pour mieux taper le FN ».

Voilà donc les médias dom­i­nants, si, si, oblig­és de se sur­veiller entre eux, et de se deman­der mutuelle­ment de manip­uler avec un tan­ti­net plus de dis­cré­tion. Il faut dire qu’ils le savent bien, eux, ce qu’est une fake news. Cha­cun sachant aus­si qu’une omis­sion n’étant pas une fake news, il n’y aura donc aucune « fausse nou­velle » dans le fait qu’aucun des médias qui s’était pré­cip­ité à la suite de Buz­zfeed n’a indiqué à ses lecteurs ou audi­teurs que l’information n’en était pas une… de ce point de vue, les voici dif­fuseurs de ladite fake news ? Qu’en diraient des juges ? Et le pub­lic s’il en était informé ?