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Altice dans la tourmente après avoir été pris au piège de la grosse dette

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23 décembre 2017

Temps de lecture : 9 minutes
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Altice dans la tourmente après avoir été pris au piège de la grosse dette

Temps de lecture : 9 minutes

[Red­if­fu­sion – arti­cle pub­lié ini­tiale­ment le 25/11/2017]

Financée par l’argent facile – moyennant près de 50 milliards de dettes – l’expansion d’Altice se heurte à un mur au moment où les taux d’intérêts repartent à la hausse et la valeur boursière d’Altice s’effondre. Malgré la reprise en main par Patrick Drahi lui-même, et l’accord signé récemment avec TF1, l’avenir du groupe – mais aussi de ses titres de presse – s’assombrit.

Début novem­bre TF1 et Altice ont annon­cé qu’ils met­taient fin à leurs pour­suites judi­ci­aires respec­tives et qu’ils avaient trou­vé un accord de dis­tri­b­u­tion. Le con­trat prévoit la dif­fu­sion de TF1, TMC, HD1, NT1, LCI et des matchs de la Coupe du Monde de Foot­ball 2018 en Russie aux abon­nés SFR ain­si que la créa­tion et la mise à dis­po­si­tion d’une nou­velle chaîne reprenant les pro­grammes du groupe TF1 ; Altice en aura l’ex­clu­siv­ité pen­dant six mois. Les con­trats de dis­tri­b­u­tion des chaînes thé­ma­tiques His­toire, TV Breizh et Ushua­ia TV ont été renou­velés. SFR a dû renon­cer (le mon­tant n’a pas été divul­gué) à une par­tie des revenus qu’elle tirait de la dif­fu­sion sur inter­net des chaînes du groupe TF1, avec des com­pen­sa­tions somme toute minimes.

L’action s’effondre

Le 9 juin 2017 l’ac­tion d’Altice coû­tait 23,26€. Le 22 novem­bre, elle venait d’at­tein­dre un nou­veau creux à 7,56 €, soit un effon­drement des deux tiers en moins de six mois. C’est un sim­ple com­mu­niqué d’aver­tisse­ment sur le résul­tat brut d’ex­ploita­tion – qui ne devrait aug­menter plus que de 6% au lieu de 10% pour des recettes plus faibles que prévu en France qui a provo­qué début novem­bre l’ef­fon­drement de l’ac­tion ; le 25 octo­bre elle valait encore 17,23€, le 2 novem­bre 16,16 €, le 9 novem­bre 10,66 €.

La val­ori­sa­tion bour­sière est tombée à 10 mil­liards d’eu­ros con­tre 22 mil­liards début novem­bre. Quinze jours avant le groupe annonçait la sus­pen­sion de son pro­gramme de rachat d’ac­tion ini­tié pour 1 mil­liard d’eu­ros en août 2017. Les investis­seurs con­tin­u­ent de se défi­er et les indi­ca­teurs au rouge s’ac­cu­mu­lent bien que la direc­tion ait été remaniée.

Un budget et des dettes intenables

Le 9 novem­bre, Michel Combes, directeur général d’Altice et PDG de SFR – la fil­iale à la fois la plus grosse et celle qui cumule le plus de prob­lèmes – est écarté et rem­placé par Dex­ter Goei, respon­s­able des activ­ités améri­caines. Patrick Drahi revient comme prési­dent du groupe Altice tan­dis que le con­fon­da­teur, Arman­do Pereira, revient comme directeur opéra­tionnel de l’ac­tiv­ité télé­coms pour redress­er SFR, aux côtés d’Alain Weill qui dirigeait jusque là l’ac­tiv­ité médias. Tan­dis que Michel Paulin, directeur général de SFR Télé­com et de Jean-Pas­cal Van Over­beke, respon­s­able de l’activité grand pub­lic, ont été virés.

La valse des têtes – qui tendait à faire accréditer que l’équipe de rêve qui avait con­stru­it et éten­du le groupe était de retour aux manettes et que la crois­sance allait revenir avec elle – n’a pas con­va­in­cu. En effet, le prob­lème, ce ne sont pas les dirigeants, mais comme l’assène Bloomberg, la dette. Plus de 54,1 mil­liards d’eu­ros (dont 1,3 mil­liard à court terme) fin 2016.

Comme nous l’écriv­ions en novem­bre 2015, en moins de deux ans, Drahi a bâti à coups d’emprunts un empire télé­coms, câbles et médias (Libéra­tion, l’Ex­press, l’Ex­pan­sion, BFMTV, RMC, Numéro 23…) présent en France, aux Etats-Unis, aux Caraïbes, en Suisse, au Por­tu­gal et en Israël. Il a béné­fi­cié à la fois d’une époque de crédit bon marché et du mécan­isme d’ac­qui­si­tion par la dette (LBO) dans laque­lle seuls s’y retrou­vent ban­quiers, cadres dirigeants et man­agers. Tan­dis que syn­er­gies imposées, coupes salar­i­ales et impayés ne ces­saient d’augmenter.

Frais financiers en hausse

En 2016 déjà, la hold­ing néer­landaise Altice NV voy­ait ses frais financier triplés (de 1,2 à 3,7 mil­liards d’eu­ros), soit le dou­ble du résul­tat opéra­tionnel (1,6 mil­liards d’eu­ros). Résul­tat, la perte a sex­tu­plé (300 mil­lions d’eu­ros en 2015, 1,8 mil­liards en 2016). « Au pre­mier semes­tre [2017], la hold­ing néer­landaise du groupe affichait un résul­tat opéra­tionnel en chute à 253 mil­lions d’euros, con­tre 900 mil­lions pour la même péri­ode de 2016 », rel­e­vait Medi­a­part. Pour 1,8 mil­liards d’eu­ros de frais financiers et 1,4 mil­liards d’eu­ros de déficit.

Du côté des fil­iales améri­caines Sud­den­link et Cable­vi­sion, pas mieux : elles réalisent sur les neuf pre­miers mois de 2017 6,9 mil­liards de dol­lars de chiffre d’af­faires pour un déficit total de 700 mil­lions de dol­lars après paiement des très lourds frais financiers liés à leur endet­te­ment. Il n’y avait pas besoin d’être devin pour con­stater que tôt ou tard, les investis­seurs seraient inqui­ets pour leurs picaillons.

Deux millions de clients perdus pour SFR

Pen­dant ce temps, SFR con­tin­ue de per­dre des clients. Deux mil­lions en deux ans, dont 500 000 fix­es et le reste sur mobiles. Et comme Altice y est adossé– SFR, c’est la moitié des résul­tats du groupe – rien ne marche plus. « La course à la réduc­tion des coûts, l’arrêt des investisse­ments, la mod­i­fi­ca­tion inces­sante des con­trats, un ser­vice clien­tèle aux abon­nés absents ont nour­ri un mécon­tente­ment gran­dis­sant de la clien­tèle », liste encore Medi­a­part.

« Ce n’est partout qu’accusations de dys­fonc­tion­nements, de ventes for­cées, de rup­tures de con­trat voire d’escroquerie ». Comme avec Numer­i­ca­ble et pour les mêmes raisons. SFR a licen­cié 3000 per­son­nes pour réduire les coûts – dont 600 par­ties le 30 juin 2017 – mais n’a pu se réor­gan­is­er. Plus per­son­ne ne sait qui s’oc­cupe de quoi ni qui en est respon­s­able. Bref, « quand vous êtes un client insat­is­fait, ça se sait très très vite. SFR, c’é­tait une mar­que extra­or­di­naire il y a encore trois, qua­tre ans. Aujour­d’hui, elle est abîmée et c’est ce qui explique la fuite de clients et de chiffre d’af­faires », résume Stéphane Dubreuil, con­sul­tant spé­cial­iste des télé­coms, prési­dent de Stal­lych Con­sult­ing sur FranceInfo.

Quant à la con­ver­gence des con­tenus – c’est à dire des arti­cles de « Libéra­tion », « L’Ex­press » ou « BFM » soi-dis­ant « offerts » con­tre une aug­men­ta­tion en douce de l’abon­nement, nom­bre de clients l’ont assim­ilée à une vente for­cée et ont engagé des pour­suites. SFR a du reculer et leur offrir le retour au statu quo ante, si bien que les recettes par abon­nés stag­nent. SFR a bien essayé d’ex­ploiter des failles régle­men­taires en esti­mant que la moitié de son abon­nement rel­e­vait désor­mais de la TVA sur la presse (2%) mais le dis­posi­tif, qui a per­mis au groupe d’é­conomiser 800 mil­lions d’eu­ros d’im­pôts et tax­es, sera ren­du inopérant par la loi de finances 2018.

Les projets de croissance remis aux calendes grecques : tout l’argent ira aux créanciers

Pour réduire sa dette et atten­dre que la tem­pête passe en con­tin­u­ant à avoir du crédit, Altice a dû négoci­er avec ses investis­seurs. Le rem­bourse­ment est reporté à 2022. Mais en atten­dant, Altice ne peut plus puis­er dans une de ses fil­iales pour sec­ourir une autre – l’ar­gent et les act­ifs sont blo­qués dans cha­cune des struc­tures emprunteuses.

Des engage­ments croisés ont aus­si été accep­tés, si bien que le groupe peut se retrou­ver obligé de rem­bours­er des emprunts sur plusieurs struc­tures si l’une d’elle défaille. Et cerise sur le gâteau, le cours des actions fig­ure par­mi les garanties accordées, ain­si que le ratio de dettes dans l’ex­cé­dent brut d’ex­ploita­tion. Résul­tat : tout l’ar­gent du groupe va aux créanciers tan­dis que l’in­vestisse­ment et le développe­ment sont gelés.

Pis, les paris financiers du groupe – liés à ce con­tin­uel besoin de crois­sance – sont per­dus. Tout comme la volon­té de Patrick Drahi de déploy­er la fibre dans toute la France pour éten­dre le marché, même si SFR vient de sign­er qua­tre nou­veaux con­trats de déploiement de la fibre à Cognac (7500 pris­es d’i­ci 2020), Wit­telsheim (5119 pris­es d’i­ci 2019), dans 53 com­munes du Rhône (38.080 pris­es d’i­ci fin 2020) et pour 230.000 foy­ers en Seine-Mar­itime d’i­ci 15 ans.

Vers des plaintes multiples ?

Sur­veil­lé de près par ses créanciers, SFR a du souci à se faire si les ventes de Noël – qui représen­tent jusqu’au tiers du résul­tat d’un opéra­teur – ne sont pas au ren­dez-vous. D’au­tant que les nuages con­tin­u­ent de s’ac­cu­muler. Cer­tains action­naires veu­lent en effet dépos­er plainte après avoir affir­mé que le groupe aurait minoré sa dette de 2015 à 2017 et affir­mé à tort qu’il en avait le con­trôle absolu. Effet garan­ti sur les action­naires paniqués, même si la dette d’Altice est à 85% à taux fixe, a annon­cé la direction.

Celle-ci cherche tout de même du cash – la vente du réseau en République domini­caine (715,7 mil­lions d’€ de chiffres d’af­faires en 2016 pour 185,2 mil­lions d’€ de résul­tat d’ex­ploita­tion) pour­rait rap­porter 3 mil­liards d’eu­ros, sans que cela suff­ise à redress­er la barre. D’ailleurs, 49 fonds spécu­lat­ifs ont cédé pour 500 mil­lions de dol­lars d’ac­tions d’Altice USA ; 37 d’en­tre eux se sont com­plète­ment désen­gagés. La fil­iale suisse serait aus­si reven­due pour 200 mil­lions d’eu­ros – le Crédit Suisse a ramené entre temps son objec­tif de cours de 17 à 10 €. SFR envis­age aus­si de ven­dre ses antennes-relais en France – cha­cune est val­orisée à 250 000 € et SFR en a 20 000 – et sa fil­iale du Benelux pour 400 mil­lions d’eu­ros, voire sa fil­iale au Por­tu­gal qui pour­rait rap­porter jusqu’à 7 mil­liards d’eu­ros. Les investisse­ments sont décalés d’un an et la trans­for­ma­tion de la mar­que SFR en Altice en France est gelée, économisant plusieurs cen­taines de mil­lions d’eu­ros au passage.

Drahi se retrou­ve dans la sit­u­a­tion d’Aris­tide Sac­card, con­traint de con­tin­uer à fuir en avant avec sa Banque uni­verselle jusqu’à la débâ­cle inéluctable. Out­re les investis­seurs, les (derniers) abon­nés de SFR et les employés des médias du groupe ont du souci à se faire. Pour ne rien arranger, Stan­dard & Poor’s a annon­cé vouloir abaiss­er pour l’an­née prochaine la per­spec­tive de « neu­tre » à « néga­tive » si « la direc­tion ne parvient pas à redress­er la barre en France, avec notam­ment une meilleure fidéli­sa­tion des clients et une baisse du “turnover” par­mi les dirigeants, ou si elle ne parvient pas à réduire sa dette ». La note serait main­tenue à B+, déjà jugée spéculative.