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Robert Ménard « antisémite » : Marianne pris en flagrant délit de manipulation

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5 décembre 2013

Temps de lecture : 10 minutes
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Robert Ménard « antisémite » : Marianne pris en flagrant délit de manipulation

Temps de lecture : 10 minutes

C’est une première pour Robert Ménard. Le fondateur de Reporters sans frontières attaque en effet Marianne en justice pour l’avoir traité d’« antisémite ». Mais il y a encore plus grave : Marianne a sciemment truqué un entretien avec le philosophe Vivien Hoch ! Révélations de l’Ojim.

Sous la plume de Lisa Vig­no­li, l’hebdomadaire Mar­i­anne écrivait dans son édi­tion du 22 sep­tem­bre dernier : « Alain Soral est passé de mode. Mais il reste Dieudon­né, Robert Ménard et Thier­ry Meyssan (…) “Ces por­teurs d’idéologie prof­i­tent et entre­ti­en­nent la détes­ta­tion selon une stratégie bien déter­minée”, analyse le chercheur en philoso­phie Vivien Hoch. (…) “Leurs divers­es provo­ca­tions, leur entre­tien de l’idéologie anti­sémite et leur ironie con­stante devraient les écarter du débat pub­lic” ».

Il n’en a pas fal­lu plus à Robert Ménard pour sor­tir de ses gonds. « C’est la pre­mière fois qu’on me qual­i­fie d’antisémite ! », a‑t-il déclaré en annonçant son inten­tion de pour­suiv­re le jour­nal. Robert Ménard, aujourd’hui can­di­dat aux élec­tions munic­i­pales de Béziers (Hérault) sur une liste soutenue par le Front Nation­al et Debout la République, n’a pas souhaité faire usage d’un droit de réponse, car il était selon lui « hors de ques­tion » de se jus­ti­fi­er face à des accu­sa­tions aus­si « graves et offen­santes ». Pour la pre­mière fois de sa vie, il attaque ain­si un jour­nal en jus­tice, en lui récla­mant 150 000 euros de dom­mages et intérêt et qua­tre pub­li­ca­tions judiciaires.

Une grosse manip’

D’autant que l’article de Lisa Vig­no­li s’est vite avérée être une manip­u­la­tion, en plus d’être diffam­a­toire. En effet, quelle ne fut la sur­prise de Robert Ménard lorsque, quelques jours après la paru­tion de l’article, il rece­vait un cour­ri­er de Vivien Hoch qui se désol­i­dari­sait de l’article et des pro­pos qu’on lui prê­tait… Le philosophe joignait à son cour­ri­er le texte qu’il avait envoyé à la jour­nal­iste de Mar­i­anne, et que l’Ojim a pu con­sul­ter. Or, là, sur­prise : le texte ne dis­ait pas du tout ce que la jour­nal­iste lui fai­sait dire !

À la ques­tion : « (…) con­sid­érez-vous que leur dis­cours [les per­son­nal­ités por­teuses d’idéologie réac­tion­naire] enrichisse la pen­sée com­mune ? » Vivien Hoch répondait en effet : « Il y a évidem­ment des por­teurs d’idéolo­gie, notam­ment les Soral, Dieudon­né et Meyssan qui prof­i­tent et entre­ti­en­nent cette détes­ta­tion selon une stratégie bien déter­minée. Leur divers­es provo­ca­tions, leur entre­tien de l’idéolo­gie anti­sémite et leur ironie con­stante devrait les écarter du débat pub­lic ». Comme on le voit, le nom de Ménard n’apparaissait pas dans ces « por­teurs d’idéologie ».

Mieux, à une autre ques­tion, « Est-ce néces­saire de recueil­lir, par exem­ple, l’avis de Robert Ménard sur la une de Char­lie Heb­do aujour­d’hui ? » Vivien Hoch répondait : « Robert Ménard se pose tout à la fois en défenseur de la lib­erté d’ex­pres­sion et vic­time de la “bien­pen­sance” ou “pen­sée unique”, mais lui ne sem­ble pas vouloir en prof­iter. Il sem­ble bien plus en souf­france de ce jeu médi­a­tique que manip­u­la­teur et stratège. Bien au con­traire, il sem­ble qu’il tente de s’ex­primer sincère­ment, sans stratégie invis­i­ble, et en cela il mérite un écho dans le débat pub­lic. S’il est vrai­ment sincère, il y a un vrai intérêt à recueil­lir son opin­ion sur la Une de Char­lie Hebdo ».

Lisa Vignoli écrit le contraire de ce que lui a dit Vivien Hoch !

Le philosophe pre­nait ain­si bien soin de dis­tinguer « les por­teurs d’idéologie » que « leur entre­tien de l’idéologie anti­sémite » devait, selon lui, « écarter du débat pub­lic », et Robert Ménard qui « tente de s’exprimer sincère­ment, sans stratégie invis­i­ble, et en cela mérite un écho dans le débat pub­lic ».

Lisa Vig­no­li n’a pour­tant pas hésité à coller le nom de Ménard à côté de ceux de Soral, Dieudon­né et Meyssan juste avant de faire par­ler Vivien Hoch, don­nant à penser que le philosophe inclu­ait Ménard dans « ces por­teurs d’idéologie » à écarter du débat pub­lic, alors que le philosophe dis­ait… exacte­ment l’inverse !

Vivien Hoch, choqué lui aus­si par un tel procédé, achevait son cour­ri­er à Robert Ménard en lui dis­ant : « Veuillez bien croire qu’il n’é­tait aucune­ment dans mon inten­tion que cela soit présen­té tel que dans l’ar­ti­cle en ques­tion ». Les choses sont donc claires : l’article est une manipulation.

« Robert, sur le fond, tu as raison… »

Mais l’affaire n’était pas ter­minée pour autant et le plus extra­or­di­naire reste à venir. Avec une telle preuve de la mal­hon­nêteté de Lisa Vig­no­li, Ménard écrivait en effet un mail à Mau­rice Szafran pour lui deman­der les excus­es du jour­nal, à défaut de quoi il lais­sait enten­dre qu’il serait con­traint de porter l’affaire devant la jus­tice. Or, voici la réponse de Szafran, que l’Ojim a égale­ment pu con­sul­ter : « Robert, Sur le fond, tu as rai­son. Mais tu sais fort bien que la jour­nal­iste ne présen­tera pas ses excus­es. C’est étranger à la tra­di­tion de la presse française. Il vaut donc mieux que tu agiss­es comme tu l’en­tends. Con­frater­nelle­ment. Mau­rice Szafran ».

Le PDG de Mar­i­anne (qui a démis­sion­né le 6 novem­bre dernier) recon­nais­sait ain­si la faute de sa jour­nal­iste (qui a elle aus­si quit­té le jour­nal entre-temps) mais refu­sait de le recon­naître publique­ment en s’excusant, sous pré­texte que « c’est étranger à la tra­di­tion de la presse française »… Ren­ver­sant ! Pour l’avocat de Robert Ménard, maître Gilles-William Gold­nadel, le pré­texte est non seule­ment ridicule mais il est faux (voir l’entretien ci-dessous)…

Aphatie piégé lui aussi…

Quant à l’avocate de Mar­i­anne, Me Lau­ranne Favre, elle affirme sérieuse­ment que dire de Robert Ménard qu’il « entre­tient l’idéologie anti­sémite » ne sig­ni­fie pas qu’il est anti­sémite… et plaide pour « la mal­adresse jour­nal­is­tique ». Une mal­adresse, donc ? Voire.

Le prob­lème, c’est que Lisa Vig­no­li n’en est pas à son coup d’essai en matière de « mal­adresse ». En sep­tem­bre 2011, elle sig­nait un papi­er dans Mar­i­anne qui avait pour titre : « Pri­maire du PS : selon les édi­to­ri­al­istes, c’est Hol­lande ». La jour­nal­iste iro­ni­sait sur « les grandes plumes poli­tiques [qui] avaient pronos­tiqué la vic­toire de Lionel Jospin et d’Édouard Bal­ladur », bref, qui se trompaient tout le temps. Par­mi ces « plumes » se trou­vait Jean-Michel Aphatie. Or, le jour­nal­iste pub­li­ait quelques jours plus tard un bil­let sur son blog inti­t­ulé « L’intervention de DSK, la mal­hon­nêteté de Mar­i­anne » dans lequel il relatait sa con­ver­sa­tion télé­phonique avec Lisa Vig­no­li. Aphatie affir­mait lui avoir dit qu’il ne souhaitait « pas exprimer un pronos­tic pour cette pri­maire » et qu’il trou­vait, « depuis longtemps, les pronos­tics élec­toraux de jour­nal­istes ter­ri­ble­ment arro­gants ». Il pré­ci­sait que « ne répon­dant pas à sa ques­tion sur le pronos­tic », il ne souhaitait pas être cité dans l’article. « Du coup, voir aujourd’hui que je fig­ure à la page 32 de l’hebdomadaire dans l’interminable liste des “gros cons de jour­nal­istes qui se plantent tout le temps dans leur pronos­tic” m’agace un petit plus qu’un peu », écrivait-il sur son blog.

Ne plus répondre à Marianne ?

D’après Aphatie, Lisa Vig­no­li ajoutait une « mal­hon­nêteté supérieure » à celle de le citer mal­gré son refus, « en le citant incom­plète­ment à la seule fin de [le] faire ren­tr­er dans la liste des “gros cons de jour­nal­istes” ».

« Nous n’avons que l’embarras du choix pour qual­i­fi­er ce type de procédé. Ce qui est cer­tain, c’est qu’il s’apparente plus à une manip­u­la­tion des faits qu’à du jour­nal­isme, qu’il dénote une absence totale de scrupules et une très pro­fonde mal­hon­nêteté intel­lectuelle », con­clu­ait-il avant de don­ner un con­seil : « pour éviter la repro­duc­tion de cette sit­u­a­tion, une seule solu­tion : ne plus répon­dre, jamais, sous aucune forme, aux ques­tions d’un jour­nal­iste de Mar­i­anne ».

Crédit pho­to : Philippe Leroy­er via Flickr (cc)


« Une affaire emblématique du climat actuel » : Trois questions à maître Goldnadel, avocat de Robert Ménard

OJIM : Quel est votre sentiment sur cette affaire ?

Maître Gold­nadel : Il s’agit là d’une affaire excep­tion­nelle, tris­te­ment emblé­ma­tique du cli­mat médi­a­tique actuel. On a tout d’abord un arti­cle qui voue un homme aux gémonies en le trai­tant d’antisémite, et qui demande ni plus moins que son exclu­sion du champ médi­a­tique, et donc sa mort civile. On peut ou non appréci­er Robert Ménard, être ou ne pas être d’accord avec lui, mais le qual­i­fi­er d’antisémite n’est jamais venu à l’esprit d’un seul de ses adver­saires ; c’est en effet la pre­mière fois qu’il est ain­si qual­i­fié, ce que sa vie entière dément par ailleurs. Mais après tout, on peut se dire que c’est le lot tris­te­ment com­mun de la dia­boli­sa­tion. Mais là où l’affaire devient vrai­ment excep­tion­nelle, c’est que cet arti­cle s’abrite der­rière le mag­istère intel­lectuel d’un philosophe recon­nu, Vivien Hoch, qui a lui-même con­tac­té Robert Ménard en se dis­ant désolé qu’on lui ait fait dire le con­traire de ce qu’il dis­ait ! Dans le texte qu’il a envoyé à Mar­i­anne, Vivien Hoch dis­ait en effet pré­cisé­ment qu’il ne fal­lait pas exclure Robert Ménard du débat public !

OJIM : L’avocate de Marianne parle de « maladresse journalistique »…

Maître Gold­nadel : Écoutez, je veux bien croire que l’on puisse com­met­tre des mal­adress­es en inter­pré­tant mal les choses, en les défor­mant par inad­ver­tance ou par une mau­vaise tran­scrip­tion… mais là il est évi­dent que cette jour­nal­iste a délibéré­ment tron­qué les pro­pos qu’elle rap­porte. Je me refuse à croire qu’il s’agit d’une mal­adresse. Ce n’est pas une nuance dont il s’agit, on passe car­ré­ment du blanc au noir ! Mais le plus extrav­a­gant dans cette affaire est la réac­tion de Mau­rice Szafran, qui était alors le patron de Mar­i­anne. Robert Ménard lui envoie le texte orig­i­nal de Vivien Hoch, Szafran recon­nait que les pro­pos ont été tron­qués… mais il refuse de s’excuser sous pré­texte que ce n’est pas une tra­di­tion de la presse française ! C’est ridicule, et c’est surtout faux ! Il arrive fort heureuse­ment que la presse recon­naisse ses erreurs, présente des regrets ou s’excuse, que l’on songe aux « Pan sur le bec » du Canard Enchainé par exemple.

OJIM : Comment comprendre cette attitude ?

Maître Gold­nadel : Cela veut dire que dans ce monde d’égalité et de normes à respecter que l’on nous prône tous les jours du matin au soir, il y a une caté­gorie de per­son­nes qui déro­gent à la règle com­mune, qui ne s’y sen­tent plus tenu. Il y a un deux poids/deux mesures, selon que vous êtes du « bon » ou du « mau­vais » côté. La presse cul­tive un sen­ti­ment d’irresponsabilité qui est lui-même motivé par un sen­ti­ment d’impunité. Il est très com­pliqué d’obtenir la respon­s­abil­ité d’un jour­nal­iste dans le maquis procé­dur­al et il n’y a aucune dis­sua­sion. Or, comme vous le savez, la morale n’est jamais très loin de la peur… En résumé, cette affaire est exem­plaire de ce qu’il ne faut pas faire en matière de presse… et de ce qui ne devrait jamais arriv­er. Une « tête à claques » + une jour­nal­iste qui ne se mouche pas du col + un cli­mat délétère + une jus­tice « bonne fille » = déra­page assuré !