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Plaintes et polémiques après un reportage de M6 sur les « quartiers »

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20 avril 2015

Temps de lecture : 5 minutes
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Plaintes et polémiques après un reportage de M6 sur les « quartiers »

Temps de lecture : 5 minutes

Dimanche 12 avril, M6 consacrait son émission « Zone Interdite » aux « nouveaux ghettos », axant le sujet sur les dealers, le communautarisme musulman et les familles monoparentales. Autant dire que les polémiques n’ont pas tardé à naître.

La chaîne et les deux boîtes de pro­duc­tion qui ont tra­vail­lé sur le reportage l’as­surent : « C’était brut de décof­frage, avec une volon­té d’éviter les par­tis pris. C’est ce que l’on a fait. » Et d’a­jouter : « Nous n’avons pas trahi la parole des per­son­nes qui ont par­ticipé à ce reportage et nous n’avons rien inven­té. D’ailleurs, elles nous ont remer­ciés pour ça. »

Mais le témoignage d’un fixeur (per­son­ne chargée de faire le lien entre l’équipe de tour­nage et les habi­tants) de l’émis­sion est venu ali­menter les soupçons. À Rue89, Matthias Quiv­iger s’est ain­si con­fié à pro­pos de Géral­dine Lev­asseur, cadre de Giraf Prod : « J’essayais de lui ramen­er des per­son­nes qui ont réus­si ou qui galèrent, mais qui s’en sor­tent quand même. Ça ne lui allait pas. En réal­ité, elle voulait des bar­bus, des djellabas, des musul­mans qui font la prière, des deal­ers… Ça s’est très mal passé avec elle. »

Celui-ci estime que la jour­nal­iste a « men­ti sur ses inten­tions. Je me sou­viens qu’elle est ren­trée dans un immeu­ble et qu’elle a demandé aux habi­tants de tous se met­tre à la fenêtre pour que ça fasse “cage à poules” et “ghet­to”. » Et de con­clure : « Après les témoignages qu’elle a recueil­lis quand j’étais avec elle, elle n’était pas sat­is­faite. Elle y est retournée, seule. Elle a don­né env­i­ron 250 euros à des jeunes pour qu’ils la lais­sent filmer des points de deals et qu’ils répon­dent à ses ques­tions très ori­en­tées. » Une pra­tique absol­u­ment illégale.

Cepen­dant, pour Giraf Prod, Matthias Quiv­iger n’est autre qu’un « fixeur aigri » qui a touché « beau­coup d’ar­gent » (2 500 euros) pour un tra­vail « qu’il n’a pas fait ». « Il devait nous présen­ter trois familles, mais n’a jamais réus­si à le faire. L’accord de départ, c’était de réalis­er un reportage objec­tif sur les ghet­tos de la République. Lui voulait ori­en­ter ça vers quelque chose d’angélique. Mais il n’est pas réal­isa­teur […] Karim Ouaf­fi et Karim Maatem, les deux réal­isa­teurs du reportage, con­nais­sent très bien la prob­lé­ma­tique. Ils sont d’ailleurs tous les deux issus des cités. »

Quant à Géral­dine Lev­asseur, elle réfute les accu­sa­tions du fixeur, expli­quant n’avoir « jamais par­lé de “cages à poules” ». « Je suis réal­isatrice, j’aime les belles images. Effec­tive­ment, je me suis présen­tée aux per­son­nes de cet immeu­ble après avoir sym­pa­thisé avec des jeunes filles. Je voulais faire un joli plan, comme dans “Égoïste” [la pub de Chanel, ndlr]. Vous savez pourquoi je n’ai pas gardé cette séquence ? Parce que juste­ment, ça fai­sait trop “ghet­to” », se justifie-t-elle.

Mais elle ne voulait pas se voil­er la face en occul­tant l’é­conomie souter­raine et les trafics, qui sont une réal­ité. « Et encore, on n’a pas tout mon­tré », note-t-elle. Con­cer­nant la prime aux deal­ers : « Je ne les ai jamais payés pour qu’ils me par­lent. Jamais. Je leur ai sim­ple­ment don­né un peu d’argent pour qu’ils achè­tent des gâteaux et des bon­bons aux enfants du quarti­er qui étaient autour de nous. »

Dimanche, « Zone Inter­dite » se découpait en deux par­ties : l’une con­sacrée au ghet­to à pro­pre­ment par­ler, l’autre aux mères seules qui élèvent leurs enfants avec dif­fi­culté. Deux sujets qui n’ont rien à voir l’un avec l’autre et n’ont pas été filmés par les mêmes sociétés, mais qui ont sus­cité le même niveau d’indig­na­tion sur les réseaux sociaux.

La séquence la plus con­testée du deux­ième sujet est celle où le jour­nal­iste demande à une mère de cinq enfants si elle n’a « jamais pen­sé à pren­dre la pilule ». « Au départ, j’avais cette ques­tion dans la tête, sans oser la pos­er. Pas parce que je trou­vais ça raciste, mais trop per­son­nel. J’en ai par­lé avec des per­son­nes qui étaient dans les couliss­es du pro­jet. Elles trou­vaient la ques­tion intéres­sante. J’ai expliqué la démarche à Cécil­ia, avec qui j’ai noué des liens – d’où le “tu” –, qui s’est mar­rée. Ça ne la dérangeait pas du tout de répon­dre. Je suis peiné de voir que cer­tains me tax­ent de racisme. Bien sûr que si elle avait été blanche, j’aurais fait pareil », s’est expliqué Olivi­er Ponthus.

Et celui-ci de mon­tr­er aus­sitôt « pat­te blanche », si l’on peut par­ler ain­si : « J’ai vécu au Maroc, en Tunisie. J’ai enseigné l’histoire-géographie à Clichy-sous-Bois. Il n’y a qu’à voir les posts que je relaye sur Face­book : je suis antiraciste. »

Quoi qu’il en soit, il n’est jamais de bon ton, en France, de s’in­téress­er aux quartiers dits « sen­si­bles ». Mon­trez un tant soit peu la réal­ité, et vous voici accusé de « stig­ma­tis­er » les habi­tants du quarti­er, ou pire, de racisme.

C’est du reste la démarche entre­prise par les « Jeunes com­mu­nistes de Bobigny ». Dans un com­mu­niqué, ces derniers ont fait part de leur inten­tion de dépos­er plainte con­tre M6, qual­i­fi­ant pêle-mêle leur « pro­pa­gande » de « racoleuse », « men­songère » et même, pourquoi pas, « réac­tion­naire ».

Pour l’av­o­cat en charge de pré­par­er cette plainte, Jean-Tou­s­saint Gia­co­mo, « c’est lim­ite de l’incitation à la haine raciale. On fait croire qu’il n’y a que des Africains et des musul­mans dans les quartiers ». Reste à savoir si on le fait croire ou si c‘est vrai.