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Médias recherchent néonazi désespérément

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27 novembre 2013

Temps de lecture : 11 minutes
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Médias recherchent néonazi désespérément

Temps de lecture : 11 minutes

L’affaire Merah n’aura donc pas servi de leçon. Avant que le « tireur fou de Libé » ne soit connu, de nombreux médias ont à nouveau démarré au quart de tour avec la volonté, à peine dissimulée, de voir le réel coller à leur fantasme. En dépit de toute déontologie.

Un « blanc aux yeux bleus » nommé Mohamed Merah

Déjà, en 2012, lorsque Mohammed Mer­ah abat­tait, à Mon­tauban, des mil­i­taires en pleine rue et finis­sait par s’introduire dans une école juive de Toulouse pour y faire un car­nage, les grands médias avaient fait leurs choux gras sur une pure spécu­la­tion : son orig­ine. Alors qu’on ne con­nais­sait rien du tireur et que les seules images disponibles mon­traient un homme casqué inté­grale­ment, l’extrême-droite était visée. Le Point avait dégainé le pre­mier en évo­quant « la piste néon­azie ». Puis, les télévi­sions avaient décrit un homme « de type cau­casien ou européen » (M6), aux « yeux bleus sur un vis­age blanc » (TF1 et France 2).

Le 20 mars, les Inrocks fai­saient même appel à un soci­o­logue pour assur­er une légitim­ité à cette thèse. Lau­rent Muc­chiel­li déclarait ain­si que, « selon les pre­miers élé­ments de l’enquête, le meur­tri­er n’est pas un islamiste ou un ban­lieusard – les cibles favorites du débat pub­lic – mais une per­son­ne qui est apparem­ment issue d’un grou­pus­cule néo-nazi ». Bra­vo pour la lucid­ité. De même pour Le Canard Enchaîné, Char­lie Heb­do et Le Monde qui, tous en cœur, évo­quaient tan­tôt un néo-nazi, tan­tôt un dan­gereux nervi d’extrême-droite, for­cé­ment proche des idées du Front Nation­al. La men­ace fas­ciste planait sur la République en danger.

Mais dès les pre­mières révéla­tions sur l’identité du tueur, l’islamiste Mohammed Mer­ah, le change­ment de ton sera total. On par­lera désor­mais d’un jeune « toulou­sain de 23 ans » qui « aime le foot, les scoo­teurs et les sor­ties en boîte » (France 3). Pour les Inrocks, il s’agit d’« un enfant du mariage mal­heureux entre la France et l’Algérie ». Libéra­tion couron­nera ce grand retourne­ment par une descrip­tion dev­enue célèbre : un jeune au « vis­age d’ange d’une beauté sans nom »… Mais le pom­pon sur­ve­nait le 21 mars, lorsque sur son compte Twit­ter, le jour­nal­iste du Nou­v­el Obs Nico­las Cha­puis rap­por­tait des pro­pos tenus au sein de sa rédac­tion : « Putain ! Je suis dégoûté que ce ne soit pas un nazi ! » Et son col­lègue, Tris­tan Dessert, de lui répon­dre, comme un aveu pour l’ensemble de la pro­fes­sion : « Ça aurait été effec­tive­ment plus simple. »

Médias recherchent néonazi désespérément

Nico­las Cha­puis, jour­nal­iste : « Putain ! Je suis dégoûté que ce ne soit pas un nazi ! » Le tweet a depuis été sup­primé par son auteur.

La séquence entière a été couron­née par un prix spé­cial, le « bobard total » décerné par la fon­da­tion Polémia de Jean-Yves Le Gal­lou.

Quand Libé préfère « les méthodes des antifa »…

On aurait pu imag­in­er qu’une leçon aurait été tirée de cet épisode erra­tique mais il n’en est rien. Lun­di 18 novem­bre, lorsqu’un homme entre, armé d’un fusil de chas­se au siège de Libéra­tion et ouvre le feu sur un assis­tant-pho­tographe, l’emballement médi­a­tique retrou­ve des airs de tuerie de Toulouse. Alors qu’on ne sait encore rien de l’homme et de son apparence, les spécu­la­tions ne tar­dent pas à refaire sur­face. L’homme est immé­di­ate­ment décrit comme un homme « de type européen », aux « cheveux ras », et Jean-Marc Moran­di­ni lâche même le mot : « crâne rasé ». Fal­lait-il enten­dre « Skin­head » ? Sa veste verte est qual­i­fié de « veste de chas­seur », son look de « para­mil­i­taire » et petit à petit se con­stru­it une image des­tinée à mar­quer les con­sciences : l’homme vient de la droite rad­i­cale. D’ailleurs, s’étant attaqué à Libéra­tion, que pou­vait-il être sinon d’extrême-droite ? Au micro de chaque média, les jour­nal­istes par­lent ain­si d’une cer­taine « ambiance » qui règne dans le pays, d’un cer­tain « cli­mat » peu ragoutant. Com­pren­dre : une ambiance nauséabonde depuis que la France de la Manif pour tous s’est réveil­lée, que le Front Nation­al monte dans les sondages et que Chris­tiane Taubi­ra a été com­parée à un singe. « Tirs à Libé et men­aces à BFMTV. Ou allons-nous ? Au sec­ours. Peu­ple de gauche réveil­lons-nous. Ça craint », tweete Esther Ben­bas­sa le jour même.

Peu­ple de gauche réveil­lons-nous ? Pourquoi peu­ple de gauche ? Pourquoi pas peu­ple de France ou peu­ple tout court ? Parce que le dan­ger ne peut venir que de la droite, par­di. Or, face à ce dan­ger, l’extrême-gauche est vue comme un rem­part… Trois jours avant l’attaque, Pierre Mar­celle réagis­sait en effet dans les colonnes du jour­nal Libéra­tion à pro­pos de la une jugée raciste de Minute sur Chris­tiane Taubi­ra : « Pour com­bat­tre la bar­barie, on préfèr­era décidé­ment les méth­odes des antifas, fussent-ils extrémistes, que la sai­sine, vraisem­blable­ment vaine et con­tre-pro­duc­tive, du par­quet, par Matignon », écrivait le chroniqueur d’extrême-gauche, invi­tant ain­si explicite­ment ses petits cama­rades à un pas­sage à l’acte con­tre le jour­nal d’extrême-droite. Manque de bol, 72 heures plus tard, c’est con­tre son pro­pre jour­nal que s’est retourné le canon du fusil à pompe…

Une histoire de climat

Le cli­mat, donc. Fab­rice Rous­selot, directeur de la rédac­tion de Libé, l’évoquait sur BFMTV. Un cli­mat qui a débuté « depuis qu’on a pris posi­tion con­tre le racisme 

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». Tiens donc. Nico­las Demor­and, directeur de pub­li­ca­tion du même jour­nal, par­lait, lui, d’une « ambiance » qui se dessi­nait. Mais c’est Arnauld Cham­premier-Trig­ano qui met­tra enfin des mots sur ce cli­mat dont tout le monde par­le. C’est un cli­mat « de haine raciale » et de « haine des médias ». Mieux : d’après le député PS de Seine-Saint-Denis, Daniel Gold­berg, cette affaire est liée « aux attaques racistes visant Chris­tiane Taubira ».

L’inénarrable Car­o­line Fourest entre enfin en scène. Dans un arti­cle pub­lié sur le site du Huff­in­g­ton Post, et après avoir pré­cisé, par pure rhé­torique, qu’il fal­lait « atten­dre d’en savoir plus », la mil­i­tante fémin­iste tire à boulets rouges sur « l’inci­ta­tion à la haine qui vise de plus en plus sou­vent les médias », et dénonce « Inter­net, les réseaux soci­aux », ses bêtes noires, des lieux où l’on accuse « les puis­sants cos­mopo­lites ou les pau­vres étrangers » en toute impunité. « Dans ce bistrot devenu glob­al, on par­le fort, on par­le sou­vent des musul­mans, des Arabes, des Juifs, des noirs, des singes et des jour­nal­istes… », ajoute-t-elle avant de con­clure : « Mais la plus grande respon­s­abil­ité, aujour­d’hui, est à droite, où l’ab­sence de com­plexe et la surenchère ont libéré une parole mor­tifère. On entend décidé­ment trop peu la droite répub­li­caine. Où est-elle ? Quand des gens de son pro­pre camp dérapent et tien­nent des pro­pos à droite de l’actuel Front nation­al. » Sur LCP, elle fera même le lien entre le tireur de Libéra­tion, Anders Breivik et ses « agresseurs » de la Manif pour tous.

Au final, per­son­ne ne sait rien, mais tout le monde le sait : c’est l’extrême-droite qui a fait le coup.

Deux poids/deux mesures

Mer­cre­di 20 novem­bre 2013, un homme présen­tant « une forte ressem­blance » avec les images de vidéo­sur­veil­lance est inter­pel­lé alors qu’il est « endor­mi » dans son véhicule après avoir pris des médica­ments. Les tests ADN réal­isés l’affirment : il s’agit de l’homme qui s’était ren­du armé, le 15 novem­bre, à BFMTV, qui a tiré sur le pho­tographe de Libéra­tion puis sur le siège de la Société générale à La Défense trois jours plus tard. Le nom du sus­pect ne tarde pas à fil­tr­er : l’homme « de type européen » s’appelle Abdel­hakim Dekhar, il est d’origine algéri­enne, con­nu des ser­vices de police pour avoir, dans l’affaire Rey-Maupin en 1994, fourni un fusil à pompe aux « tueurs de flics ». Mais l’homme est surtout un pur pro­duit du mil­i­tan­tisme marx­iste lib­er­taire antifas­ciste et pos­sède un pedi­gree à faire pâlir les activistes : mil­i­tant au « Mou­ve­ment d’ac­tion et de résis­tance sociale » (MARS), d’une « Sec­tion car­ré­ment anti-Le Pen » (SCALP), adhérent de la « Coor­di­na­tion des sans-abris », du « Col­lec­tif d’ag­i­ta­tion pour un revenu garan­ti opti­mal » (CARGO) et des « Tra­vailleurs, chômeurs et pré­caires en colère » (TCP). Dans l’une des let­tres retrou­vée à son apparte­ment après son arresta­tion, il explique son geste en évo­quant un « com­plot fas­ciste » dans les médias, qu’il accuse « de par­ticiper à la manip­u­la­tion des mass­es, les jour­nal­istes étant payés pour faire avaler aux citoyens le men­songe à la petite cuillère ».

Dekhar a pris les discours antifascistes très au sérieux

Lors de l’affaire Mer­ah, la révéla­tion de l’identité du tueur avait provo­qué un retourne­ment des médias. Cette fois, c’est un silence embar­rassé qui suc­cède au fan­tasme. La mort de Clé­ment Méric (voir notre dossier sur le sujet) avait entraîné une véri­ta­ble vendet­ta politi­co-médi­a­tique con­tre les groupes d’extrême-droite. Au nom de la République en dan­ger, il fal­lait « tailler en pièce » les grou­pus­cules (Jean-Marc Ayrault), respon­s­ables du fameux cli­mat qui avait ren­du pos­si­ble le pas­sage à l’acte. Mais pour Abdel­hakim Dekhar, lié à l’extrême-gauche vio­lente et ter­ror­iste, le mot d’ordre est tout autre : pas d’amalgame… Le tireur est présen­té comme un indi­vidu isolé, pas du tout organ­isé, et, évidem­ment, déséquili­bré. Quant aux jour­nal­istes et hommes poli­tiques qui attisent les haines avec leur dis­cours inces­sant sur la « men­ace fas­ciste », dis­cours pris au sérieux par Abdel­hakim Dekhar, nul ne songe évidem­ment à leur deman­der des comptes, ou tout au moins à les ren­dre respon­s­ables de ce fameux cli­mat ayant favorisé le pas­sage à l’acte.

Avec l’affaire Méric, le drame avait tourné poli­tique. Avec l’affaire Dekhar, le drame devient psy­chi­a­trique. À l’unanimité, il ne peut s‘agir que d’un « sui­cidaire, déséquili­bré, insta­ble et mar­gin­al », d’un « errant soli­taire, sans attach­es, sans famille poli­tique, sans acolyte ». En aucun cas l’extrême-gauche et sa frange ter­ror­iste n’est en cause. Rue89 affirme même, par le biais de son ancien avo­cat que l’homme n’est pas de gauche… « Mais où sont passés les bien-pen­sants qui cri­aient au péril fas­ciste ? », s’interroge André Bercoff sur Atlanti­co. Car que ce serait-il passé si le tireur s’était avéré appartenir à cette extrême-droite fan­tas­mée ? « Alors là, on en aurait eu des tonnes ! des kilos !… et François Hol­lande aurait appelé à une grande man­i­fes­ta­tion place de la Nation ! », croit savoir Yves Thréard.

Un suicide collectif des médias ?

La voix de la rai­son sera portée par Guy Biren­baum qui, dans le Huff­in­g­ton Post, adressera un mes­sage à la pro­fes­sion : « Si jamais on se plante, on se vautre, et notam­ment parce que l’on n’a pas voulu dire ou écrire “je ne sais pas” ou “je n’en sais rien”… il faut revenir et dire “J’ai eu tort”. Parce qu’à chaque fois que quelqu’un dit ou écrit “Je me suis trompé”, j’ai la faib­lesse de penser qu’il pro­gresse et nous fait avancer. »

Telle est la réal­ité : de nom­breux jour­nal­istes se sont une fois de plus trompés mais per­son­ne ne l’a dit. Com­ment ne pas com­pren­dre que la méfi­ance, si ce n’est l’hostilité, qui se dévelop­pent à l’égard des médias vien­nent de là ? Le pub­lic réclame de l’analyse et des faits aux jour­nal­istes qui lui ser­vent en retour de l’idéologie et du fan­tasme, pro­pres à obscur­cir encore davan­tage la réal­ité qu’ils ont pour méti­er d’éclairer. A l’heure d’Internet, ces manip­u­la­tions ne peu­vent qu’entraîner un sui­cide col­lec­tif des médias.

C.L.

À voir également : Infographie de Libération et
Dossiers sur l’affaire Méric I et II

Crédit pho­to : DR