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Joué-les-Tours : comment la presse française joue un mauvais tour à la vérité

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22 décembre 2014

Temps de lecture : 4 minutes
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Joué-les-Tours : comment la presse française joue un mauvais tour à la vérité

Temps de lecture : 4 minutes

Le moins que l’on puisse dire, c’est que le traitement de l’attentat islamique de Joué-les-Tours, le samedi 20 décembre, où un Français d’origine burundaise s’est jeté sur deux policiers pour les frapper à coups de couteau aux cris d’« Allah Akhbar », a fourni une vue en coupe de l’état de dévastation de la presse française.

Devant une vérité toute sim­ple, attestée dès le début par les vic­times de l’a­gres­sion (vic­times asser­men­tées est-il besoin de le rap­pel­er ?), les médias français ont con­nu une véri­ta­ble déban­dade dans le déni, le flou, voire car­ré­ment le men­songe, der­rière le min­istre de l’In­térieur qui n’a rien ménagé pour noy­er le pois­son, tan­dis qu’on aurait aimé que la presse fasse son tra­vail, qui est de savoir pêch­er la bonne infor­ma­tion même en eaux troubles.

À 18 heures le same­di, se fiant sans doute au côté car­ré de l’af­faire dès le départ, lefigaro.fr, avec la dernière impru­dence, envoie un flash spé­cial sous forme de ban­deau indi­quant que l’a­gresseur est un islamiste.

Une demi-heure plus tard, France Info n’a tou­jours pas per­cuté. Le chroniqueur par­le de rumeurs sur un ton de répro­ba­tion, il dit qu’il faut atten­dre les résul­tats de l’en­quête, il ne par­le absol­u­ment pas de l’o­rig­ine de l’a­gresseur. Dans l’heure qui suit, la plu­part des titres de la presse en ligne procè­dent à la même impasse et emploient le con­di­tion­nel à pro­pos des cris proférés par l’a­gresseur, cris attestés rap­pelons-le par des officiers de police. Enfin, au jour­nal de 20 heures sur France 2 le min­istre de l’In­térieur donne le la et aucun jour­nal­iste n’est encore remon­té jusqu’au site inter­net et à la page Face­book de l’a­gresseur où s’é­tal­ent pour­tant des pro­fes­sions de foi en faveur de l’Is­lam com­bat­tant, inscrip­tions assez claires que nous ne con­naîtrons que le lende­main soir. Décidé­ment les rédac­tions en chef n’ont pas l’in­ter­net facile. Le lende­main, le min­istre de l’in­térieur nous racon­te, la presse tou­jours étroite­ment alignée der­rière lui, que le per­son­nage était con­nu des forces de police mais pour des choses sans rap­port avec l’is­lam et qui ne rel­e­vaient pas du pénal. Il con­sent toute­fois à admet­tre qu’il y ait pu avoir légitime défense. Trop sympa.

Nous voilà soulagés. Enfin presque. Parce que le lende­main, trois per­son­nes à bord d’une voiture fon­cent, en cinq points dif­férents de la ville de Dijon, dans la foule des pas­sants d’après des témoins, aux mêmes cris de « Allah Akhbar ». La presse, et notam­ment l’AFP, par­le d’un acte isolé (trois per­son­nes, cinq ten­ta­tives) « prob­a­ble­ment issu d’un déséquili­bré », et « dont les motifs restent flous » (le cri de guerre ne suf­fit vis­i­ble­ment pas à l’AFP).

Dans le traite­ment à chaud de ces deux affaires nous voyons quelle con­fi­ance nous pou­vons avoir en nos médias, et jusqu’où l’in­sti­tu­tion est capa­ble de se déjuger au point de se méfi­er de la police dans les cas de bonne foi les plus évi­dents. Elles mon­trent qu’il y a deux class­es de sus­pects en cas d’at­ten­tat : ceux aux­quels on règle leur compte tout de suite en livrant leur noms et leurs mobiles dès la pre­mière heure, et ceux qui restent « pré­sumés agresseurs » jusqu’au dix-huitième jour, ceux qui n’ont « pas de casi­er pour les faits con­sid­érés », ceux qui « man­i­fes­tent un com­porte­ment insta­ble et déséquili­bré ».

La seule dif­férence avec le passé se trou­ve peut-être dans l’in­dex­a­tion du com­porte­ment médi­a­tique par Google. Quand le moment sera venu, les étu­di­ants en com­mu­ni­ca­tion se pencheront sur cette journée, et les auteurs de “flash­es” spé­ci­aux qui ont bran­di l’é­touf­foir avec autant d’im­pu­dence pour­raient avoir à s’ex­pli­quer sur leur con­cep­tion du métier.