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Francis Puyalte sur l’Inquisition médiatique

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1 août 2012

Temps de lecture : 6 minutes
Accueil | Critiques | Francis Puyalte sur l’Inquisition médiatique

Francis Puyalte sur l’Inquisition médiatique

Temps de lecture : 6 minutes

Près de quarante ans de carte de presse, de Paris-Jour au Figaro en passant par L’Aurore, du statut de stagiaire échotier à celui de grand reporter, Francis Puyalte a tout connu, tout vécu de la presse écrite. Dans un livre brillant, nourri, enlevé, parfois drôle et souvent amer, il passe de l’autre côté du miroir. Et ce n’est pas toujours sympathique.

Lecteur, ami lecteur tu appren­dras que « Le lecteur ? C’est l’Arlésienne de la presse. Tout le monde en par­le mais per­son­ne ne le con­naît. La plu­part des jour­nal­istes l’ignorent lorsqu’ils ne le méprisent pas ».

Si Puyalte respecte les dirigeants et les jour­nal­istes de Paris-Jour comme ceux de L’Aurore, Le Figaro en prend pour son grade « Un havre. L’atmosphère y est ouatée. On se doit d’y être con­ven­able. Pas de vagues. Pas de piail­lerie. Pas de chahut ». Il reprend à son compte le por­trait charge de Jean Both­orel (Le bal des vau­tours, Jean Picol­lec, 1996) et les 23 manières de sign­er du quo­ti­di­en de la bour­geoisie « Il y a au Figaro vingt-trois – vingt-trois ! – manières de sign­er un arti­cle… On songe aux mod­èles hiérar­chiques de l’Armée rouge ». Il va aus­si décou­vrir comme son ancien chef de Paris Jour Bernard Mor­rot (France, ta presse fout le camp, L’Archipel, 2000) que « …plusieurs des innom­brables bureaux dis­per­sés dans les étages avaient des locataires dont per­son­ne ne savait l’emploi exact ». Il y a certes de grands jour­nal­istes (Max Clos, Frossard) mais aus­si une cohorte de petits mar­quis aux­quels il faut se soumet­tre. Une ambiance qui incite à tout sauf au courage, surtout pas au courage.

Il décou­vre aus­si que cer­tains jour­nal­istes ne font que recopi­er l’AFP. Lors d’un reportage sur une séques­tra­tion de patrons dans une usine Tal­bot, il voit de ses yeux les patrons séquestrés. La jeune jour­nal­iste de l’AFP n’en par­le pas (refuse d’en par­ler ?). Résul­tat : « Des cadres séquestrés chez Tal­bot ce jour là ? Non. C’est faux. La preuve c’est que l’agence France-Presse n’en par­le pas ».

Sans oubli­er les pres­sions économiques. Lors d’un reportage sur les chi­nois du XIIIème arrondisse­ment de Paris, les tri­ades et les frères Tang, il va se heurter à un fidèle de Robert Her­sant, Jean Miot. Miot con­voque Puyalte dans son bureau, lui mon­tre un péri­odique en chi­nois « Tu vois ce jour­nal, c’est nous qui l’imprimons à Rois­sy. Il pèse 400 bâtons. Et toi com­bi­en tu pès­es ? …alors ton enquête, tu l’oublies ».

Fran­cis Puyalte va faire la con­nais­sance de ceux qu’il appelle « Les nou­veaux Inquisi­teurs. Dans la presse écrite et audio­vi­suelle, ils fab­riquent des inno­cents et des coupables. Leur opin­ion per­son­nelle forge l’opinion publique » (1). L’affaire Kamal sera l’occasion de les fréquenter de près, de trop près. Karim Kamal et sa femme Marie-Pierre Guy­ot se dis­putent la garde de leur fille Lau­ri­ane dans une affaire haute­ment médi­atisée pen­dant plus de dix ans, de 1993 à 2005. Ancien échoti­er, Fran­cis Puyalte va suiv­re l’affaire pour Le Figaro, à ses dépens comme il le ver­ra plus tard. Karim Kamal fran­co-maro­cain, séduisant, manip­u­la­teur, dis­posant d’une famille influ­ente aux États-Unis va user de tous les sub­terfuges y com­pris les plus igno­bles pour récupér­er sa fille. Le racisme bien sûr « Parce que je suis à moitié maro­cain… parce que je suis vic­time du racisme ». La calom­nie pure pour salir sa femme accusée de …pédophilie !

Le tout avec le sou­tien de la grosse presse du Monde à Paris-Match en pas­sant par Le Nou­v­el Obser­va­teur, France-Soir, Nice-Matin, Libéra­tion et … Le Figaro qui vont con­sacr­er plus de 200 arti­cles à l’affaire. Hervé Gat­teg­no (2), fidèle com­pagnon d’Edwy Plenel, va se dis­tinguer par­ti­c­ulière­ment au Monde. Il con­sacre près d’une trentaine d’articles à l’affaire, la plu­part réper­cu­tant les accu­sa­tions de pédophilie con­tre la mère… sans jamais la ren­con­tr­er une seule fois. Le directeur du Monde, Jean-Marie Colom­bani sera sévère­ment con­damné en 2002 par le tri­bunal de Grasse : « L’auteur de l’article… procé­dant par amal­games… qu’il ne saurait faire val­oir qu’il a mené une enquête sérieuse… sans faire le moins du monde état des enquêtes… a man­qué de la plus élé­men­taire pru­dence ».

Mais Gat­teg­no n’est pas seul. La presse télévisée est aus­si de la par­tie. L’émission Envoyé spé­cial est une des loco­mo­tives de France 2 de l’époque. Le cor­re­spon­dant local de France 2 à Nice, Olivi­er Théron va se dis­tinguer dans un reportage hal­lu­ciné signé « Au nom de la loi » et acca­blant la mère sup­posée pédophile par un art savant du mon­tage. « Olivi­er Théron n’a pas dit la vérité, n’a pas resti­tué la réal­ité. Il a été le vecteur con­scient ou incon­scient d’une stratégie de mys­ti­fi­ca­tion de grande ampleur ». L’essentiel du reportage sera repris plus tard sur Canal dans Lun­di Inves­ti­ga­tion. Madame Guy­ot gag­n­era haut la main tous ses procès con­tre la presse et gardera sa fille mais à quel prix ! Sans compter que l’auteur sera com­bat­tu dans son pro­pre jour­nal et lâché par sa hiérar­chie qui hurle avec les loups.

Dans un livre qui se lit comme un roman polici­er Fran­cis Puyalte pose avec brio les bonnes ques­tions : quel est le pre­mier pou­voir en France ? Quelle est la respon­s­abil­ité réelle des jour­nal­istes et de leurs patrons ? Com­ment fonc­tionne le jour­nal­isme de copinage et de recopi­age ? Citons-le « mon but est d’encourager le lecteur de ce livre et des jour­naux, à s’interroger, analyser, décrypter, recouper. Et surtout, ne jamais pren­dre pour argent comp­tant ce qu’il lit, voit ou entend. A se pos­er la ques­tion : “Et si c’était faux ?”. » Tout le pro­gramme de l’OJIM en une phrase. Lisez donc Fran­cis Puyalte.

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(1) Voir le livre de Gérard Lhéri­ti­er, Intime cor­rup­tion, L’Archipel, 2006. Gérard Lhéri­ti­er à la suite d’un faux témoignage repris sans exa­m­en par la presse (nous retrou­verons Hervé Gat­teg­no – décidem­ment – et Nice Matin) sera à deux doigts de tout per­dre : hon­neur, famille, sit­u­a­tion pro­fes­sion­nelle. Nous recenserons son témoignage sur le site de l’OJIM comme le par­fait exem­ple de ce que risque cha­cun à tout instant si les médias ne respectent pas un min­i­mum de déontologie.

(2) Tout ceci n’empêchera pas Gat­teg­no de rester quinze ans au Monde et de devenir rédac­teur en chef au Point de …la cel­lule d’investigation. Hervé Gat­teg­no est con­sid­éré comme un « bébé Plenel » (voir Pierre Péan/Philippe Cohen, La face cachée du Monde, Mille et une nuits, 2003). Edwy Plenel « ancien mil­i­tant trot­skiste et inves­ti­ga­teur qui est passé aux cuisines et ne sert plus en salle » Un por­trait leur sera prochaine­ment con­sacré sur le site de l’OJIM.

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Fran­cis Puyalte, L’Inquisition médi­a­tique. Jour­nal­iste ? Vous avez dit jour­nal­iste ? Pré­face de Chris­t­ian Mil­lau, Dual­pha Édi­tions, 2011, 331 pp, 33 €. Fran­cePhi Dif­fu­sion — Boite 37 – 16 bis rue d’Odessa 75014 Paris. Com­mande pos­si­ble sur le site www.francephi.com (paiement sécurisé par carte ban­caire et pay­pal). [email protected]

Crédit pho­to : © Fran­cis Puyalte