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France Culture, L’Esprit Public. La sérénité de l’aveuglement ?

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10 mai 2016

Temps de lecture : 7 minutes
Accueil | Veille médias | France Culture, L’Esprit Public. La sérénité de l’aveuglement ?

France Culture, L’Esprit Public. La sérénité de l’aveuglement ?

Temps de lecture : 7 minutes

On peut écouter avec intérêt l’émission hebdomadaire de commentaires politiques sur l’actualité de la semaine écoulée, « L’Esprit Public », produite et animée par Philippe Meyer sur l’antenne de France Culture, car elle dispense tous les dimanches à 11h une information raisonnable, rassurante, savante, toutes choses synonymes de sécurité intellectuelle. Nous avons à faire a priori à des gens qui savent où ils vont, mais a posteriori ?

Le pan­el des invités ne peut laiss­er aucun doute sur la qual­ité pré­sumée des inter­ven­tions.Hors Philippe Mey­er, dont nous con­nais­sons les qual­ités, nous avions dimanche 1er mai sur le plateau Jean-Louis Bourlanges, essay­iste, François Bujon de l’Estang, ambas­sadeur de France, Nicole Gne­sot­to, pro­fesseur tit­u­laire de la chaire sur l’Union Européenne au CNAM, Sylvie Kauff­mann, direc­trice édi­to­ri­ale au jour­nal Le Monde, Éric Le Bouch­er, édi­to­ri­al­iste du jour­nal Les Échos et co-fon­da­teur du site Slate.fr et Michaela Wiegel, cor­re­spon­dante à Paris de la Frank­furter All­ge­meine Zeitung». 

La sérénité curieuse — mar­que de cette émis­sion — se heurte de plus en plus aux remous inter­na­tionaux et à une sit­u­a­tion poli­tique et sociale dif­fi­cile en France même, illus­trant un monde bien dif­férent de celui qui nous est pro­posé par l’équipe de l’E­sprit Public.

Dimanche 1er mai, une obamania de bon ton

Jean Louis Bourlanges, ancien député européen, « chré­tien démoc­rate » un temps proche de M. Bay­rou, est un par­ti­san déter­miné du « marché libre et non faussé », c’est un par­ti­san his­torique de la Con­struc­tion « européenne, » offi­cielle qu’il a régulière­ment et farouche­ment soutenue dans les faits mais aus­si dans ses ambi­tions proclamées. La stratégie sup­posée des pères de l’UE était notam­ment de bâtir une puis­sance poli­tique faisant d’une par­tie du vieux con­ti­nent un inter­locu­teur à part entière des grandes puis­sances du moment. M. Bujon de l’Es­tang pour sa part, ambas­sadeur de France à la bril­lante car­rière, est en principe por­teur et défenseur de l’in­térêt nation­al. C’est là a pri­ori le sens même de son méti­er. Les autres inter­venants affichent des qual­ités dif­férentes, mais égale­ment de bonne tenue.

Pour en revenir à l’ac­tu­al­ité de la semaine con­cernée, la venue de M. Oba­ma en Grande Bre­tagne et en Alle­magne était en soi naturelle, entre parte­naires. Mais Lorsque le prési­dent des États-Unis s’est mêlé publique­ment des affaires intérieures du pays hôte et de la vie de l’UE, nous devons en déduire qu’il n’é­tait pas venu en représen­tant d’un pays ami, mais en patron dis­pen­sa­teur de con­seils, d’or­dres et de men­aces (à peine voilées) à l’en­con­tre du Roy­aume-Uni dans le cas d’un Brexit.

Quelles réac­tions sur le plateau de l’E­sprit Pub­lic ? Des com­men­taires de bon aloi analysant la per­ti­nence évi­dente des paroles de M. Oba­ma, qui instituent de fait l’UE comme un appen­dice de la puis­sance US, dont la frag­ili­sa­tion serait aus­si celle du « grand frère » d’outre Atlan­tique. Com­prenons que l’avenir de l’UE intéresse au pre­mier chef les États-Unis, qui y inter­vi­en­nent légitime­ment quand bon leur sem­ble. On s’est grave­ment inter­rogé sur le fait que M. Oba­ma n’a pas fait une halte à Paris. La France vient de se réin­ve­stir totale­ment dans l’OTAN, et on voit mal com­ment M. Hol­lande, qui a fait par­tie des « Young lead­ers » (voir inter­net sous le titre « Young lead­ers »), pour­rait au-delà des dis­cours pos­er un prob­lème quel­conque à un chef d’é­tat améri­cain, tant son aligne­ment atlantiste est qua­si complet.

Les pressions sur les anglais

Ont été égrainées les men­aces de l’UE con­tre la Grande Bre­tagne pour peser sur le scrutin relatif au Brex­it, M. Bourlanges les décli­nant avec pré­ci­sion. Il eût affir­mé claire­ment sa con­damna­tion de telles men­aces, si tel avait été son avis. Ce ne fut pas le cas, ni d’ailleurs celui de ses parte­naires. Cette mise en cause offi­cielle de la lib­erté démoc­ra­tique des Anglais face à leur des­tin, du fait de M. Oba­ma et de Brux­elles, n’a pour­tant choqué per­son­ne, elle a même paru par­faite­ment naturelle aux « experts » présent sur le plateau.

Il faut croire qu’on peut soutenir l’UE sur une radio de ser­vice pub­lic en igno­rant les principes de base de la vie démoc­ra­tique, à savoir que le vote des citoyens a en démoc­ra­tie force de loi, et qu’il importe que l’ex­pres­sion du vote échappe à toute pres­sion sus­cep­ti­ble d’en fauss­er la sen­tence. M. Oba­ma est donc le patron, en ver­tu de quoi l’ « Europe » et l’ex­pres­sion démoc­ra­tique des pays de l’UE n’ex­is­tent en rien face à la volon­té US (et à celle de Brux­elles), M. Bujon de l’Es­tang pré­cisant dans la foulée que le risque de frag­men­ta­tion de l’UE favoris­erait l’ « impéri­al­isme russe », ce qui sem­ble être par les temps qui courent l’ « ulti­ma ratio » bénie par Washington.

Le vrai discours en filigrane, l’Europe vassale naturelle des US

Si nous traduisons sim­ple­ment les pro­pos de nos amis de l’E­sprit Pub­lic, l’UE vas­sal­isée est une évi­dence qui relève d’une espèce de droit naturel lié à l’im­peri­um US. La présence de la Grande Bre­tagne dans l’UE aus­si, et ce d’au­tant plus que telle est l’opin­ion de M. Oba­ma. La sor­tie du Roy­aume (encore) Uni de l’ensem­ble com­mu­nau­taire serait donc une anom­alie au regard du « nou­v­el ordre mon­di­al » voulu par les États-Unis, du moins on le sup­pose. Le Brex­it est récusé à la fois par Wash­ing­ton et Brux­elles, ce qui est par voie de con­séquence l’opin­ion raisonnable qui, on le sup­pose, trace la fron­tière entre les pop­ulistes, les extrémistes et les gens sérieux.

Point­er les dan­gers de l’im­péri­al­isme russe, souligne si l’on com­prend bien, la néces­sité de ser­rer les rangs der­rière les États-Unis, et donc, en fil­igrane, der­rière l’OTAN dans un proces­sus de con­fronta­tion avec la Russie (et peut-être avec la Chine). Au total, une seule réal­ité sus­cep­ti­ble d’être admise sans méfi­ance a été évo­quée, à savoir le refus majori­taire des sociétés européennes de la sig­na­ture du cat­a­strophique traité transat­lan­tique, et la volon­té majori­taire de leurs gou­ver­nants d’y enfer­mer leurs pays. M. Bourlanges a immé­di­ate­ment assim­ilé l’hos­til­ité des citoyens au traité à une ten­ta­tion pro­tec­tion­niste, ce qui dans sa bouche est éminem­ment con­damnable. On est en droit d’en déduire son appui au fameux traité.

Le réel fâché avec l’Esprit Public et l’expression de « l’état profond »

Quels que soient les sujets abor­dés par cette émis­sion heb­do­madaire, le tra­vail des équipes réu­nies par M. Mey­er définit une ligne poli­tique « sub­lim­i­nale » que l’on peut résumer en dis­ant qu’elle exprime la vision con­sen­suelle de l’estab­lish­ment, et qu’elle entre de plus en plus fréquem­ment en con­tra­dic­tion avec les faits. Evo­quer le Brex­it sans expli­quer en quoi le désir de quit­ter l’UE peut appa­raître fondé aux yeux des citoyens anglais revient à surlégitimer le dis­cours des autorités « com­pé­tentes » face à l’ig­no­rance sup­posée des citoyens. Instituer l’UE comme vas­sale des Etats Unis, c’est soutenir la con­cep­tion d’un « empire occi­den­tal » et d’un leader US « naturel » con­tre toute idée de sou­veraineté, au moment où les forces cen­trifuges minent l’ensem­ble européen et où les Etats Unis sont eux-mêmes tra­vail­lés par l’iso­la­tion­nisme, forme améri­caine du souverainisme.

Une ques­tion légitime se pose. Si l’on con­sid­ère que M. Philippe Mey­er donne en direct la parole à des représen­tants de l’ « état pro­fond », à savoir à des per­son­nes qui sont aus­si par­fois des per­son­nages impor­tants impliqués dans des instances inter­na­tionales comme la Tri­latérale ou le groupe Bilder­berg et autres hauts lieux de la mon­di­al­i­sa­tion néolibérale, et qui, dans tous les cas, ont à voir avec le Pou­voir économique, financier et poli­tique au plus haut niveau, on est en droit de se deman­der si les « class­es dirigeantes » française, européennes et mon­di­ales n’ont que ce type d’ar­gu­men­taire à oppos­er au chaos qui men­ace. Alors, le ton apaisant de cette émis­sion peut devenir un sujet d’in­ter­ro­ga­tion angois­sée : n’ont-ils que cela à nous dire quand la mai­son brûle ?

ERRATUM 12/05/2016 : Thier­ry Pech a été indiqué par erreur comme un des par­tic­i­pants de l’émis­sion du pre­mier mai, présent habituelle­ment il était absent ce jour.