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Européennes : avis de catastrophe naturelle dans la presse française

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27 mai 2014

Temps de lecture : 4 minutes
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Européennes : avis de catastrophe naturelle dans la presse française

Temps de lecture : 4 minutes

Pour qui aurait passé le week-end sur une île déserte, le réveil a du être angoissant ce lundi matin. À en croire la presse française, une catastrophe naturelle de grande ampleur a frappé la France. S’agit-il d’un « séisme » ? d’un « tremblement de terre » ? d’un « raz-de-marée » ? Non, simplement d’une élection démocratique.

Dès l’an­nonce des résul­tats, avec un FN large­ment en tête des élec­tions européennes avec près de 26 % des voix (devant l’UMP à 20,7 % et loin devant le PS à 13,9 %), les édi­to­ri­al­istes ont sor­ti le grand jeu. Sur les plateaux télé, on a ten­té d’ex­pli­quer ce résul­tat par le sem­piter­nel « manque de péd­a­gogie » vis-à-vis de l’Eu­rope… Ain­si, les gens n’au­raient « pas com­pris » les enjeux ; la « colère » l’au­rait emporté, etc. À aucun moment il n’est ques­tion d’ad­met­tre ce résul­tat pour ce qu’il est : un rejet mas­sif de la con­struc­tion européenne telle qu’elle est.

Pen­dant que cer­tains annon­cent un « jour som­bre pour la démoc­ra­tie » (qui n’est pour­tant, en soit, ni som­bre ni lumineuse car impar­tiale), d’autres, comme Lau­rent Dela­housse sur France 2 posent car­ré­ment à leurs invités la ques­tion de savoir si « le peu­ple a tou­jours rai­son ? » Dia­ble, pour un peu, on repre­nait le cri du cœur d’Élisabeth Bad­in­ter à l’époque du traité de Maas­tricht : « les hommes poli­tiques sont tout de même mieux aver­tis que le com­mun des mor­tels » !

Marc Levy, invité sur le plateau de France 2 on ne sait trop pourquoi, , con­fiera qu’il est « triste comme tout le monde, ce soir ». À qui s’adresse ce « tout le monde » ? Mys­tère. Car au vu des résul­tats, on peut, sans faire preuve d’une par­ti­c­ulière audace intel­lectuelle, imag­in­er que « tout le monde » n’a pas dû être triste à l’annonce de ce score. Mais peut-être ce « tout le monde » s’appliquait-il à « tout le monde sur le plateau de télévi­sion » ? Peut-être s’appliquait-il à la petite élite médi­a­tique parisi­enne qui décou­vre soudain le décalage exis­tant entre elle et le reste de la pop­u­la­tion ? Cer­tains, comme Franz-Olivi­er Gies­bert, essayent du reste de s’adapter au vent qui tourne. « Moi je fais par­tie des con­nards qui ont dia­bolisé Le Pen », a‑t-il lancé sur le même plateau en guise de mea cul­pa.

Mais le pire a eu lieu du côté de France 4. Sur le compte Twit­ter offi­ciel de la chaîne, le « com­mu­ni­ty man­ag­er » s’est, sem­ble-t-il, emmêlé les pinceaux avec son compte privé, du moins on l’espère. Ain­si a‑t-on pu lire, après l’an­nonce des résul­tats : « Des gens se sont fait mas­sacr­er, ont ter­minés (sic) leurs vies dans la souf­france ou dans des camps. Pour que vous puissiez vot­er. Ban­des de cons. » Un Tweet qui a été aus­sitôt retiré, mais n’a pas échap­pé à quelques inter­nautes vig­i­lants.

Après l’in­com­préhen­sion de la soirée élec­torale est venu le temps du cat­a­strophisme. Dès l’aube, la presse française a inondé les kiosques de ses cou­ver­tures aux allures de lende­main de fin du monde. Pour un peu, on se croy­ait revenu en 2010 à l’époque de la tragédie en Haïti. Pour le Figaro, c’est un « séisme » (mot lancé par le Pre­mier min­istre lui-même), pour Le Parisien, un « big-bang ». À l’in­ter­na­tion­al aus­si, on évoque un cat­a­clysme. En Ital­ie, pour La Rep­pub­li­ca, il s’est pro­duit un « trem­ble­ment de terre en France ». En Espagne, c’est un « raz de marée pour l’ex­trême-droite en France », selon El Mun­do, qui partage son titre avec CNN.

Pour le jour­nal alle­mand Bild, c’est un « choc élec­toral en France ». Con­cer­nant l’An­gleterre, qui a vu égale­ment un par­ti euroscep­tique, l’UKIP de Nigel Farage, tri­om­pher, le Finan­cial Times y voit une « tem­pête ».

La presse régionale n’a pas été épargnée par ce mou­ve­ment de panique. « Le choc », titre La Dépêche du Midi en évo­quant un « séisme poli­tique ». Même titre pour Ouest-France qui pré­cise que l’Ouest « résiste à la vague FN ». Du côté du Jour­nal du Cen­tre, on con­state un « vrai raz de… Marine ». La Provence, cou­vrant une par­tie du grand sud-est où Jean-Marie Le Pen a été élu avec 29 % des voix, estime que « le FN met le feu ». Pour Le Télé­gramme, c’est « un tsuna­mi bleu marine ».

Ou com­ment la presse française fait-elle, à la qua­si una­nim­ité et avec l’aide de cer­tains de ses édi­to­ri­al­istes les plus en vue, pass­er un résul­tat d’élec­tion des plus prévis­i­bles pour une cat­a­stro­phe naturelle de grande ampleur…

Crédit pho­to : DR