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Élection de Trump : les médias polonais entre hystérie et compréhension

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23 novembre 2016

Temps de lecture : 9 minutes
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Élection de Trump : les médias polonais entre hystérie et compréhension

Temps de lecture : 9 minutes

Dossier. Les médias polonais établissent un parallèle entre l’arrivée au pouvoir d’Andrzej Duda du parti « Droit et Justice » (PiS) et celle de Donald Trump aux États-Unis. Pour s’en réjouir ou s’en inquiéter.

« Les élites dégénérées qui ne se soucient pas des intérêts et de la men­tal­ité des gens ordi­naires tra­vail­lant dur et souhai­tant vivre digne­ment ne sont pas chose rare en Europe. Il va y avoir des change­ments. » Sła­womir Jas­trzębows­ki, Super Express, 9 novem­bre 2016

Les réac­tions des médias polon­ais à la vic­toire de Don­ald Trump aux élec­tions prési­den­tielles améri­caines du 8 novem­bre ont été à l’image du paysage médi­a­tique sur les bor­ds de la Vis­tule : diver­si­fiées. Il n’y a qu’un aspect sur lequel les médias de droite et de gauche ont sem­blé glob­ale­ment se rejoin­dre, c’est l’existence d’un par­al­lèle entre l’arrivée du PiS au pou­voir en Pologne en 2015 et la vic­toire de Don­ald Trump aux élec­tions améri­caines en 2016. Un par­al­lèle plutôt posi­tif pour la droite con­ser­va­trice, mais ter­ri­ble­ment dép­ri­mant et inquié­tant pour la gauche libertaire.

La réalité devient surréaliste…

Si l’on s’intéresse unique­ment à la presse écrite, et d’abord aux plus grands quo­ti­di­ens nationaux, on pour­ra com­mencer par Gaze­ta Wybor­cza, jour­nal de la gauche lib­er­taire européiste et cos­mopo­lite, en dif­fi­culté du fait de la fuite de ses lecteurs mais aus­si de la perte, avec l’arrivée des con­ser­va­teurs au pou­voir, de sa posi­tion priv­ilégiée pour les annonces et pub­lic­ités du secteur public.

Mais Gaze­ta Wybor­cza, qui a récem­ment reçu de l’argent frais de George Soros, reste la source de référence des infor­ma­tions sur la Pologne, celles repris­es par les médias main­stream étrangers. Sa réac­tion par­ti­c­ulière­ment hys­térique à l’élection de Don­ald Trump rap­pelle très forte­ment celle con­séc­u­tive à l’élection du prési­dent Andrzej Duda, puis à la vic­toire du PiS aux élec­tions par­lemen­taires en 2015. Ain­si, en Une de Gaze­ta Wybor­cza le 10 novem­bre, sous le titre « Prési­dent Trump », on pou­vait lire le sous-titre suiv­ant : « L’impossible est devenu pos­si­ble et il va y avoir une réal­ité sur­réal­iste. Don­ald Trump a con­quis la prési­dence et aus­si le max­i­mum de pou­voir aux USA ». Avant de rap­pel­er que lun­di encore le prési­dent Oba­ma dis­ait de Trump qu’il était « men­tale­ment inca­pable d’exercer la fonc­tion prési­den­tielle » et de soulign­er la vic­toire répub­li­caine à la Cham­bre des Représen­tants et au Sénat, et aus­si la future « dérive à droite » de la Cour suprême avec la nom­i­na­tion d’un nou­veau juge par le prési­dent Trump. « Le résul­tat des élec­tions améri­caines est une nou­velle inquié­tante pour l’ensemble du monde démoc­ra­tique », met­tait en garde au lende­main de l’annonce de la vic­toire répub­li­caine le rédac­teur en chef du jour­nal Adam Mich­nik. « 27 ans après le démem­bre­ment de la dic­tature com­mu­niste en Pologne et la chute du mur de Berlin, deux grandes démoc­ra­tie, la bri­tan­nique et l’américaine, ont fait entr­er le monde dans une phase très dan­gereuse […] Cela pro­duira-t-il en Pologne une impul­sion pour agir en faveur de la démoc­ra­tie, ou cela ren­forcera-t-il l’évolution de la Pologne vers un autori­tarisme pou­tinien ? », s’interrogeait Adam Mich­nik pour soulign­er le par­al­lèle à ses yeux entre la vic­toire de Trump aux États-Unis et celle du PiS en Pologne.

Le calme avant la tempête ?

Un deux­ième titre faiseur d’opinion, c’est le pres­tigieux jour­nal libéral-con­ser­va­teur Rzecz­pospoli­ta, qui est toute­fois moins con­ser­va­teur et moins pres­tigieux depuis qu’il a fait l’objet d’une reprise en main en 2011 de la part du gou­verne­ment de Don­ald Tusk. Glob­ale­ment inqui­et du choix des Améri­cains, le jour­nal Rzecz­pospoli­ta don­nait, dans son édi­tion du 10 novem­bre annonçant la vic­toire de Trump, la pri­or­ité aux ques­tions économiques et aux con­séquences de cette vic­toire pour la Pologne.

Sous le titre en Une « Trump emporte l’Amérique », le jour­nal expli­quait que les marchés financiers avaient réa­gi plutôt calme­ment à la nou­velle, mais que « cela peut être le calme avant la tem­pête ». « Pen­dant la cam­pagne, le mil­liar­daire a effec­tive­ment présen­té un pro­gramme qui peut sus­citer l’épouvante », affirme le quo­ti­di­en des milieux d’affaires dans son arti­cle de Une, avant de don­ner une courte liste de ces mesures « épou­vanta­bles » comme la con­struc­tion d’un mur à la fron­tière avec le Mex­ique et le ren­voi de 11 mil­lions d’immigrés clan­des­tins. « S’il tient parole, l’Amérique et le monde peu­vent ne pas s’en relever ». Toute­fois, les nom­breux arti­cles qui suiv­ent à l’intérieur du jour­nal sont rédigés sur un mode net­te­ment plus ana­ly­tique et plus posé et sont en réal­ité plutôt de nature à ras­sur­er le lecteur sur les con­séquences prob­a­bles de la vic­toire du can­di­dat répub­li­cain, y com­pris en ce qui con­cerne la ques­tion qui intéresse le plus les Polon­ais : l’entente des États-Unis avec la Russie et le main­tien des promess­es de présence de troupes améri­caines près de la fron­tière ori­en­tale de l’OTAN.

Une révolte contre les élites gaucho-libertaires

Pour le quo­ti­di­en Gaze­ta Pol­s­ka codzi­en­nie, proche du PiS, « Ils cherchent à faire peur avec Trump comme ils ont fait avec le PiS ». « Ils », c’est le jour­nal Gaze­ta Wybor­cza et la télévi­sion TVN. Pour le quo­ti­di­en con­ser­va­teur polon­ais, la vic­toire de Trump est avant tout un « trem­ble­ment de terre con­ser­va­teur aux USA », ain­si que l’affirmait le titre en Une de l’édition du 10 novem­bre. L’éditorial du rédac­teur en chef Tomasz Sakiewicz, s’il expri­mait une cer­taine inquié­tude vis-à-vis de la poli­tique étrangère du prochain prési­dent améri­cain, se réjouis­sait avant tout de cette « révolte des sociétés tra­di­tion­nelles con­tre les élites gau­cho-lib­er­taires ».

Mais on ne peut pas par­ler de la presse quo­ti­di­enne polon­aise sans s’intéresser aus­si aux tabloïds. Le plus gros d’entre eux, Fakt, qui appar­tient au groupe de presse ger­mano-suisse Ringi­er Axel Springer, se vend en effet à plus de 300 000 exem­plaires, soit plus du dou­ble par rap­port au n° 2 des quo­ti­di­ens Gaze­ta Wybor­cza qui est lui-même talon­né par un autre tabloïde, Super Express. « Trump a enlevé l’Amérique ! Que va-t-il en faire ? », demandait le 10 novem­bre le quo­ti­di­en Fakt. « Il fait peur aux investis­seurs, aux célébrités, aux com­men­ta­teurs, mais les Améri­cains ordi­naires ont choisi Don­ald Trump », pou­vait-on lire en sous-titre. Et à l’intérieur du jour­nal, à nou­veau un par­al­lèle entre l’arrivée de Trump au pou­voir aux USA et celle du PiS en Pologne il y a un an : « ‘Le bon change­ment’ est arrivé en Amérique » (« Le bon change­ment », c’est le slo­gan du PiS). En sous-titre : « Les Améri­cains en avaient assez des élites, comme les Polon­ais et les Bri­tan­niques ». Un ton plutôt posi­tif donc, pour le lecteur issu majori­taire­ment des class­es pop­u­laires, mais aus­si en page 4 la ques­tion qui inquiète les Polon­ais : « Trump va-t-il se met­tre d’accord avec Pou­tine aux dépens de la Pologne ? ». Notons au pas­sage que l’élection de Don­ald Trump occupe une place sec­ondaire sur la Une des deux tabloïds. Dans le cas de Super Express, cette nou­velle était même celle qui occu­pait le moins de place le 10 novem­bre, avec le titre « Un mil­liar­daire gou­verne le monde ». En deux­ième page, for­mat Tabloïd oblige, une pho­to de la nou­velle pre­mière dame améri­caine nue, datant de l’époque où elle exerçait la pro­fes­sion de man­nequin. Du reste, Super Express, au lende­main de la pub­li­ca­tion des résul­tats des élec­tions améri­caines, s’est surtout intéressé à la famille et à la for­tune de Don­ald Trump. Dans son édi­to­r­i­al, le rédac­teur en chef du jour­nal se félic­i­tait toute­fois du fait que la démoc­ra­tie améri­caine avait bien fonc­tion­né, puisque le peu­ple avait pu infliger une cuisante défaite à des élites arro­gantes et éloignées des réal­ités. « Ce proces­sus ne con­cerne pas que les USA », pour­suiv­ait Sła­womir Jas­trzębows­ki, « les élites dégénérées qui ne se soucient pas des intérêts et de la men­tal­ité des gens ordi­naires tra­vail­lant dur et souhai­tant vivre digne­ment ne sont pas chose rare en Europe. Il va y avoir des change­ments. »

Il ne manque plus que Le Pen pour que le tableau soit complet

Même plu­ral­isme sur le seg­ment des heb­do­madaires : les heb­do­madaires con­ser­va­teurs Do Rzeczy et wSieci, moins sur­pris du résul­tat des élec­tions améri­caines que la presse gau­cho-lib­er­taire, y voient une suite logique de la vic­toire du PiS en Pologne puis du Brex­it. « Pourquoi ils ont peur de lui » titrait en Une de son numéro du 14 novem­bre Do Rzeczy qui voit dans l’élection de Trump « la fin du pou­voir sans partage de la généra­tion 68 ». « Le grand change­ment. D’abord la Pologne, main­tenant l’Amérique », titrait le même jour l’hebdomadaire wSieci. Les deux heb­do­madaires avaient d’ailleurs présen­té avant les élec­tions la vic­toire de Trump comme pos­si­ble, voire prob­a­ble. L’hebdomadaire européiste et lib­er­taire Newsweek, qui a le même pro­prié­taire que le tabloïd Fakt men­tion­né plus haut, est dirigé par un mil­i­tant anti-PiS très engagé, Tomasz Lis. Per­son­ne n’aura donc été sur­pris de ses réac­tions hys­tériques. En Une du numéro de Newsweek précé­dant les élec­tions améri­caines, on avait déjà un vis­age moitié Trump moitié Kaczyńs­ki, avec en gross­es let­tres la ques­tion « Le monde est-il devenu fou ? », et en sous-titre l’avertissement lancé aux lem­mings, qui sont un peu l’équivalent polon­ais des bobos français : « Trump peut per­dre, mais le trump­isme tri­om­phe déjà. La guerre de la démoc­ra­tie libérale con­tre le pop­ulisme et les auto­crates va dur­er de longues années ». « Qui sera Don­ald Trump ? Que va-t-il faire à l’Amérique, au Monde, à la Pologne ? », se demandait, inqui­et, l’hebdomadaire de gauche Poli­ty­ka après les élec­tions améri­caines. Et tou­jours, dans les arti­cles à l’intérieur du mag­a­zine, le même par­al­lèle entre Trump et le PiS : « On ne peut com­pren­dre le suc­cès de Trump sans com­pren­dre le phénomène de la télévi­sion Fox News, comme on ne peut com­pren­dre le suc­cès du PiS sans con­naître Radio Mary­ja ».

Une sug­ges­tion un peu loufoque, car la radio catholique Radio Mary­ja est très loin d’avoir le poids d’un Fox News en Amérique, mais il est vrai que son obsti­na­tion à con­tin­uer d’exister depuis plus de deux décen­nies irrite au plus haut point les médias de la gauche lib­er­taire polon­aise qui, comme ailleurs en Europe, n’aiment le plu­ral­isme médi­a­tique que quand il exclut les points de vue con­ser­va­teur et surtout catholique. Et en légende de la pho­to qui illus­tre l’article de Poli­ty­ka : « Plus que Le Pen et nous aurons presque la totale ».

Voir aussi : George Soros investit dans les médias anti-PiS en Pologne

Crédit pho­to : gageskid­more via Flickr (cc)