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[Dossier] Die Welt : islamisme, après Paris et Bruxelles, Berlin ?

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25 juillet 2016

Temps de lecture : 9 minutes
Accueil | Dossiers | [Dossier] Die Welt : islamisme, après Paris et Bruxelles, Berlin ?

[Dossier] Die Welt : islamisme, après Paris et Bruxelles, Berlin ?

Temps de lecture : 9 minutes

[Pre­mière dif­fu­sion le 13 avril 2016] Red­if­fu­sions esti­vales 2016

Les attentats commis à Paris et à Bruxelles ont suscité beaucoup d’émotion en Allemagne comme ailleurs. Notre voisin d’Outre-Rhin s’est donc posée avec une acuité grandissante la question de savoir si de tels événements pourraient se produire chez lui. Les débats animés dans ce cadre ont porté sur le devant de la scène un autre bastion méconnu de l’islamisme en Europe : Berlin.

Le point de vue de la CDU

C’est dans ce con­texte que le quo­ti­di­en Die Welt, l’un des « 3 grands », réputé con­ser­va­teur et libéral, est allé récem­ment inter­view­er Frank Henkel, mem­bre de longue date de la CDU (Union Chré­ti­enne-Démoc­rate), maire de Berlin depuis 2011 et séna­teur berli­nois (on appelle Sénat berli­nois le gou­verne­ment du Land de Berlin par oppo­si­tion à la com­mune de Berlin) chargé des sports et de l’intérieur. Cet entre­tien per­met de con­stater l’état d’esprit atten­tiste des politi­ciens aux com­man­des issus des par­tis tra­di­tion­nels face au péril islamiste en Alle­magne, comme dans le reste de l’Europe de l’Ouest.

Frank Henkel le con­cède volon­tiers : le milieu islamiste de Berlin compte 710 mem­bres, dont 360 sont con­sid­érés comme « prédis­posés à la vio­lence ». Près de 100 « Berli­nois » sont allés se bat­tre en Syrie aux côtés de l’État Islamique, dont la moitié sont revenus aguer­ris et endur­cis. 65 des 450 islamistes con­sid­érés comme haute­ment dan­gereux (un peu à l’instar de nos « classés S ») en Alle­magne vivent à Berlin. Ce milieu con­naît, de l’aveu même de Henkel, une crois­sance expo­nen­tielle. Face à ces men­aces, l’attitude adop­tée par le min­istre de l’intérieur du land de Berlin chargé de la sécu­rité de ses com­pa­tri­otes est stupé­fi­ante. Henkel com­mence d’abord par ras­sur­er son inter­locu­teur : le gou­verne­ment espère bien qu’il n’y aura jamais, sur le Kur­fürs­ten­damm, de scène sem­blable à celle du Bat­a­clan et de Zaven­tem, l’espoir fait vivre. La police berli­noise s’est pré­parée à inter­venir dans ce type de sit­u­a­tion en organ­isant des exer­ci­ces cet été. À réa­gir, pas à prévenir ? Si bien sûr, les ser­vices de ren­seigne­ments obser­vent atten­tive­ment dif­férentes « asso­ci­a­tions » extrémistes. Des moyens humains impor­tants ont été mobil­isés pour ce faire. Mais les mosquées islamistes, que fréquen­taient 90% des « Berli­nois » par­tis com­bat­tre en Syrie, ne se trou­vent pas au cen­tre de ce dis­posi­tif de sur­veil­lance… La sit­u­a­tion berli­noise ne serait pas celle de Brux­elles. Il est vrai que les quartiers forte­ment islamisés de Neukölln, de Wed­ding ou de Moabit ne sont pas com­pa­ra­bles à Molen­beek, le gou­verne­ment attend apparem­ment ce basculement !

Les contradictions et la faiblesse libérales

Ques­tions du journaliste:

  • Pourquoi les mosquées islamistes ne sont-elles pas davan­tage surveillées ?
    Parce que cela représen­terait une atteinte à la lib­erté de religion.
  • Pourquoi n’est-il pas pénale­ment puniss­able en Alle­magne de par­tir rejoin­dre une organ­i­sa­tion ter­ror­iste, soupçon­née d’avoir com­mis des crimes con­tre l’humanité ?
    Parce que l’Allemagne est un État de droit, et qu’il faut prou­ver l’intention du partant !

La seule des­ti­na­tion n’est pas une preuve. Rien ne démon­tre après tout qu’un homme fiché comme mem­bre d’associations islamistes et fréquen­tant une mosquée islamiste ne se rende pas finale­ment en Syrie en touriste, dans l’espoir sans doute de pou­voir admir­er les ruines de Palmyre ou la mosquée des Omeyyades. La Syrie regorge de tré­sors antiques et la péri­ode est prop­ice ! Le gou­verne­ment berli­nois a certes mis en place une arme impres­sion­nante con­tre le salafisme : un réseau de « dérad­i­cal­i­sa­tion », dans lequel des tra­vailleurs soci­aux expliquent à des per­son­nes soupçon­nées de sym­pa­thies islamistes que ça n’est pas bien d’égorger les gens et que la reli­gion ne doit pas être dévoyée…

Les his­to­riens alle­mands utilisent, pour désign­er cette phase de la sec­onde guerre mon­di­ale que nous appelons la « drôle de guerre », l’expression plus imagée de « Sitzkrieg » — la « guerre assise ». Pen­dant que le gros des troupes alle­man­des était en effet occupé à écras­er la Pologne, les troupes français­es sont restées en quelque sorte « assis­es sur leurs fess­es » en atten­dant que ça se passe, au lieu de prof­iter de la faib­lesse des défens­es alle­man­des à l’ouest. Les Français ont préféré atten­dre gen­ti­ment que l’Allemagne en finisse à l’est, puis regroupe ses troupes à l’ouest et choi­sisse le moment et le lieu de l’attaque. Le résul­tat de cette stratégie atten­tiste fut clair à l’époque.

C’est bien l’impression que lais­sent les mesures de lutte con­tre le salafisme du sénat berli­nois. Le gou­verne­ment « observe atten­tive­ment » et « prend des mesures de réé­d­u­ca­tion sociale » d’un ridicule achevé. Face à l’ampleur de la men­ace, des mesures vigoureuses à la hau­teur con­sis­teraient sans doute à fer­mer les mosquées islamistes ou à expulser leurs imams ain­si que les par­tants ou anciens com­bat­tants en Syrie, et à inter­dire les asso­ci­a­tions islamistes. Le délit de « Ver­fas­sungswidrigkeit » (atteinte à la con­sti­tu­tion démoc­ra­tique) existe et des dizaines d’organisations extrémistes ont été inter­dites par le passé à ce titre, et leurs dirigeants con­damnés. Rien de tel avec le salafisme : le gou­verne­ment a décidé de se con­tenter de réa­gir et de laiss­er l’initiative aux ter­ror­istes. C’est eux qui choisiront le temps et le lieu de leurs attaques. Les Alle­mands ont décidé d’expérimenter si une poli­tique de « guerre assise » leur per­me­t­tra d’obtenir de meilleurs résul­tats que ceux qu’avaient obtenus les Français en 1940…

Pegida plus réprimé que les islamistes

Mais il est une autre inter­pré­ta­tion que la seule naïveté à l’attitude tim­o­rée des politi­ciens des par­tis tra­di­tion­nels, en Alle­magne comme ailleurs en Europe de l’Ouest, dans la lutte con­tre le salafisme. L’extraordinaire inac­tion vis-à-vis des mou­ve­ments islamistes, qui ont déjà tué des cen­taines de per­son­nes en Europe, présente en effet un net con­traste par rap­port aux dures actions de répres­sion entre­pris­es con­tre le mou­ve­ment PEGIDA, qui est pour­tant loin d’être une organ­i­sa­tion ter­ror­iste : inter­dic­tion de man­i­fes­ta­tions, procé­dures judi­ci­aires con­tre les dirigeants pour « inci­ta­tion à la haine » voire « con­sti­tu­tion d’une organ­i­sa­tion ter­ror­iste »… du fait d’incendies volon­taires de foy­ers de migrants. On notera que l’absence de lien direct prou­vé entre les­dits incendies et le mou­ve­ment PEGIDA en soi n’a pas sus­cité les mêmes scrupules que l’absence de preuve directe qu’un islamiste, même con­nu des ser­vices de police, ne soit pas par­ti en Syrie faire du tourisme. On a donc, en Alle­magne comme en France, le phénomène des « deux poids et deux mesures » que nous con­nais­sons bien de la jus­tice française. Mais s’agit-il là seule­ment de naïveté ou d’aveuglement ? Peut-être, nul ne pou­vant prou­ver le con­traire. Une autre hypothèse, net­te­ment plus inquié­tante, pour­rait cepen­dant être risquée : les politi­ciens des par­tis insti­tu­tion­nels alle­mands pour­raient aus­si crain­dre qu’une répres­sion trop bru­tale du mou­ve­ment islamiste n’ouvre la boîte de Pan­dore… Les organ­i­sa­tions ter­ror­istes d’extrême-gauche des années 70 – qui comp­taient quelques dizaines de mem­bres – ne dis­po­saient en effet d’aucune base sociale en dehors de quelques grou­pus­cu­laires milieux estu­di­antins. Il en va tout autrement des mou­ve­ments islamistes : non seule­ment ceux-ci com­pren­nent des cen­taines de mem­bres aguer­ris, c’est-à-dire infin­i­ment plus que ce qu’avait jamais mobil­isé la RAF, mais ils dis­posent, en dépit de tous les dénis des poli­tiques, d’une véri­ta­ble base sociale, cul­turelle, eth­nique et religieuse réelle et sig­ni­fica­tive : une frange, certes dif­fi­cile à estimer mais qui n’est sûre­ment pas nég­lige­able, des 3 à 5 mil­lions de Musul­mans vivant en Alle­magne éprou­ve une réelle sym­pa­thie pour ces mou­ve­ments, même si elle n’approuve ni ne par­ticipe aux vio­lences. Le mou­ve­ment islamiste n’est nulle­ment grou­pus­cu­laire et mar­gin­al, en dépit de ce qu’affirment des politi­ciens qui savent per­tinem­ment le con­traire. Un fil rouge relie d’ailleurs la mon­tée en puis­sance cette sym­pa­thie islamiste avec le déclasse­ment social des Turcs, résul­tat de leurs dif­fi­cultés d’intégration cul­turelle, économique et sociale que nous avons eu l’occasion d’évoquer lors d’un précé­dent arti­cle. Les nom­breux déclassés de la com­mu­nauté musul­mane con­stituent un ter­reau fer­tile de recrute­ment islamiste. Ce déclasse­ment turc a par ailleurs des raisons pro­fondé­ment cul­turelles. Cer­tains choi­sis­sent dès lors le repli sur soi-même. Il se crée alors un cer­cle vicieux.

Les peurs de la CDU

Dès lors, on peut imag­in­er que des politi­ciens cyniques ne craig­nent qu’une répres­sion trop bru­tale des islamistes ne sus­cite un mou­ve­ment de sym­pa­thie d’une par­tie au moins de la com­mu­nauté musul­mane, voire même d’une majorité de cette com­mu­nauté mas­sive­ment déclassée et en panne, à part quelques rares élé­ments doués… élé­ments inté­grés qui font d’ailleurs, comme l’écrivain d’origine turque Akif Pir­inç­ci, l’objet de répres­sion sous la forme de procé­dures judi­ci­aires pour « inci­ta­tion à la haine »… con­tre sa pro­pre nation d’origine ! Il est vrai que celui-ci avait, lors d’une de ses allo­cu­tions devant les man­i­fes­tants de PEGIDA qu’il sou­tient, accusé déli­cate­ment le gou­verne­ment alle­mand d’agir « en Gauleit­er con­tre son pro­pre peu­ple », sus­ci­tant l’ire de l’estab­lish­ment. Un soulève­ment de toute ou par­tie de la com­mu­nauté turque par sol­i­dar­ité eth­nique, religieuse, cul­turelle et sociale dans le cadre d’une escalade, quelle qu’en soit la forme, dévoil­erait défini­tive­ment l’ampleur des men­songes dont on a abreuvé la pop­u­la­tion au cours de ces quar­ante dernières années. Les men­songes du mul­ti­cul­tur­al­isme, le car­ac­tère totale­ment idéologique et hon­teux de l’accusation for­faitaire de « racisme » porté envers tous ceux qui voulaient sus­citer des inter­ro­ga­tions par rap­port aux con­séquences sur la paix civile d’une immi­gra­tion de peu­ple­ment extra-européenne ou par rap­port à la com­pat­i­bil­ité de l’islam avec la démoc­ra­tie, voire le car­ac­tère stricte­ment poli­tique, idéologique­ment con­stru­it et par­tant crim­inel des procé­dures judi­ci­aires « d’incitation à la haine », par­faite­ment incom­pat­i­bles avec la démoc­ra­tie parce que violant les principes fon­da­men­taux de la lib­erté de con­science, de la lib­erté d’expression et des droits de l’homme dont les bien-pen­sants ne cessent de se réclamer, mais vis­i­ble­ment sans trop com­pren­dre leur sens.

La peur de faire explos­er les cli­vages gran­dis­sants qui gan­grè­nent la société alle­mande en révélant ain­si leur fail­lite pour­rait expli­quer que les élites poli­tiques iden­ti­fient les mou­ve­ments d’opposition comme PEGIDA ou l’AfD comme les enne­mis à com­bat­tre en pri­or­ité : ils ména­gent les islamistes pour ne pas sus­citer de répro­ba­tion d’ampleur au sein de la com­mu­nauté musul­mane et com­bat­tent leurs opposants poli­tiques, parce que ces derniers seraient sans doute appelés à les rem­plac­er au pou­voir en cas de vive réac­tion des Alle­mands autochtones suite à une sit­u­a­tion de qua­si-guerre civile. Cette stratégie d’accaparement coûte que coûte du pou­voir est d’une part d’un cynisme achevé, et d’autre part extra­or­di­naire­ment court-ter­miste : le gou­verne­ment alle­mand sem­ble con­sid­ér­er son pro­pre peu­ple autochtone comme l’ennemi prin­ci­pal ; il court le risque, en ne menant pas d’action préven­tive suff­isam­ment vigoureuse con­tre les islamistes, de sac­ri­fi­er la vie de cen­taines voire de mil­liers d’innocents ; il court enfin le risque à terme de ne faire guère que reculer pour mieux sauter…

Source : welt.de

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