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Critique ciné : « Night Call », voyage au bout de l’info…

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21 février 2015

Temps de lecture : 4 minutes
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Critique ciné : « Night Call », voyage au bout de l’info…

Temps de lecture : 4 minutes

« Night Call » est le récit d’une dérive. Dérive d’un homme, Lou Bloom, petit voleur rongé par l’ambition et gavé de cours de « management » et de « buisness planning » glanés sur internet, mais aussi dérive d’une société médiatique devenant folle, où la recherche du « scoop » et du sensationnel ne s’embarrasse plus d’aucune barrière éthique ou morale et où la « rentabilité » est devenue la valeur suprême sinon unique.

Ain­si la soif d’ar­gent et de célébrité de Lou Bloom – com­po­si­tion hal­lu­cinée et inquié­tante du remar­quable Jake Gyl­len­haal – va ren­con­tr­er le froid cal­cul et l’in­quié­tude pro­fes­sion­nelle d’une pro­duc­trice de télévi­sion sur le déclin (Renée Rus­so) pour com­pos­er un mor­tifère cock­tail de cynisme et de sere­ine cru­auté au ser­vice d’une « infor­ma­tion » tou­jours plus racoleuse et indécente.

« Night Call », thriller américain de Dan Gilroy

« Night Call », thriller améri­cain de Dan Gilroy

Le petit voy­ou va donc devenir l’un de ces « night­crawlers », lit­térale­ment « vers de terre », implaca­bles pré­da­teurs noc­turnes qui, armés d’une caméra, hantent les rues de la ville au volant de puis­sants véhicules con­nec­tés aux fréquences radio de la police, à la recherche d’im­ages choquantes et sanglantes d’ac­ci­dents, d’in­cendies, d’a­gres­sions ou de meurtres, qu’ils reven­dent ensuite aux chaînes de télévi­sions locales prêtes à pay­er le prix fort pour sur­nag­er dans la con­cur­rence impi­toy­able à laque­lle elles s’adon­nent. Ces chaînes qui « expé­di­ent en deux min­utes la poli­tique sociale du gou­verne­ment et les nou­velles économiques pour con­sacr­er les 4/5e du JT aux faits divers les plus sor­dides ».

Lou Bloom, plus implaca­ble, plus insen­si­ble que ses autres con­frères, va rapi­de­ment exceller dans ce « méti­er », se jetant à corps et âme per­dus dans une fréné­tique quête du « scoop » qui le mèn­era à sus­citer lui-même les drames qu’il veut filmer.

Critique ciné : « Night Call », voyage au bout de l'info...

Lou Bloom, plus implaca­ble, plus insen­si­ble que ses autres con­frères, va rapi­de­ment exceller dans ce métier…

Un film par­ti­c­ulière­ment dur et som­bre, qu’au­cun « hap­py end » ne vien­dra alléger, en forme d’au­top­sie d’un monde où tout est devenu mon­nayable, en pre­mier lieu la souf­france et la mort, et dans lequel les médias ne jouent plus qu’un rôle de vau­tours et de croque-morts, instru­men­tal­isant l’é­mo­tion et le mal­heur à des fins pure­ment économiques, le Dieu Audi­mat faisant Loi. Musique anx­iogène, com­men­taires fausse­ment éplorés, matraquage, mise en scène, réten­tion d’in­for­ma­tions ne con­venant pas à la néces­saire « drama­ti­sa­tion » de l’événe­ment présen­té… toutes les tech­niques de con­di­tion­nement sont évo­quées dans leur tran­quille banal­ité, accep­tées par presque tous les acteurs d’une infor­ma­tion qui n’est plus qu’un mod­èle économique par­mi tant d’autres. Un mod­èle auquel Lou Bloom peut par­faite­ment appli­quer les pré­ceptes de rentabil­ité et « d’op­ti­mi­sa­tion » ingur­gités via inter­net et dont le jar­gon entre­pre­neur­ial lui tient désor­mais lieu de seul vocabulaire.

Bien loin d’être un lourd pen­sum socio-poli­tique (l’ac­tion – et notam­ment de ver­tig­ineuses cours­es pour­suites – étant omniprésente), le film de Dan Gilroy est néan­moins une charge sans con­ces­sion con­tre le sen­sa­tion­nal­isme obscène de nom­bre de médias ain­si qu’une réflex­ion sur le voyeurisme et les bas instincts qu’il encourage.

Car si le spec­ta­teur est choqué et scan­dal­isé par l’impi­toy­able cynisme des pro­tag­o­nistes, lui qui con­somme avec avid­ité ce genre de pro­grammes et d’im­ages est-il beau­coup moins coupable que ceux qui les produisent ?

Un grand film à petit bud­get qui mérite d’être vu et médité.

« Night Call », thriller améri­cain de Dan Gilroy, avec Jake Gyl­len­haal, Rene Rus­so, Riz Ahmed, Bill Pax­ton. Durée : 1h57. 2014