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Coronavirus : de la théorie “complotiste” à l’hypothèse présidentielle

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22 avril 2020

Temps de lecture : 5 minutes
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Coronavirus : de la théorie “complotiste” à l’hypothèse présidentielle

Temps de lecture : 5 minutes

Quand une théorie « complotiste des médias d’extrême droite » devient une hypothèse du Président de la République : il y a encore quelques jours, début avril 2020, émettre d’autres hypothèses que la transmission du coronavirus d’un pangolin à l’homme relevait du complotisme. Depuis que le Président Macron a récemment fait part de ses doutes à ce sujet au Financial Times, de nombreux médias, comme un banc de poissons disciplinés, ne considèrent plus cette hypothèse comme farfelue.

Peu après le début de la prop­a­ga­tion du coro­n­avirus, divers­es hypothès­es sur son orig­ine ont cir­culé. Pour quelle rai­son une expli­ca­tion a‑t-elle pris l’ascendant sur d’autres ? Nul ne le sait.

La trans­mis­sion ini­tiale du coro­n­avirus à l’homme n’a pas béné­fi­cié de la traça­bil­ité de la chaine de con­t­a­m­i­na­tion qui est pro­gres­sive­ment mise en place. On ne peut donc a pri­ori écarter aucune hypothèse. Pour­tant, dès le début de la pandémie, remet­tre en cause la théorie de la trans­mis­sion du coro­n­avirus à l’homme par un pan­golin ou une chauve-souris été con­sid­éré comme far­felu, voire rel­e­vant du complotisme.

Les médias : « l’extrême droite en embuscade »

La lec­ture de cer­tains arti­cles des médias de grand chemin parus à ce sujet il y a seule­ment quelques semaines est riche d’enseignement :

- « L’étrange obses­sion d’un quart des français pour la thèse du virus créé en lab­o­ra­toire », titraient les Décodeurs du Monde le 31 mars. Le quo­ti­di­en vespéral se lançait dans de longues et graves con­sid­éra­tions sur l’égarement d’une par­tie des Français, sans doute en proie à un choc émo­tion­nel intense affec­tant leur lucidité.

- Le 27 févri­er, le quo­ti­di­en région­al La Dépêche con­sacrait un arti­cle aux « huit fake news sur le coro­n­avirus ». Par­mi celles-ci, bien évidem­ment, la thèse de la fab­ri­ca­tion du virus dans l’institut de virolo­gie de Wuhan venant notam­ment d’un « média d’extrême droite améri­cain Zero hedge ».

- Bille en tête, la rubrique « Œil sur le front » de Libéra­tion ten­tait de répon­dre dans un arti­cle du 30 mars à la ques­tion : « Pourquoi les électeurs du RN croient que le coro­n­avirus a été inven­té en lab­o­ra­toire ». Étude de la fon­da­tion Jean Jau­rès à l’appui, le quo­ti­di­en fondé par Jean-Paul Sartre expli­quait « com­ment l’extrême droite flat­te les réflex­es con­spir­a­tionnistes de ses sympathisants ».

Aucun doute ne pou­vait être émis face à une ver­sion des faits qua­si­ment présen­tée comme officielle.

Une autre hypothèse n’est citée que dans de rares médias

La trans­mis­sion du coro­n­avirus d’un pan­golin à l’homme a très vite été adop­tée par les médias de grand chemin comme l’hypothèse unique de l’origine de la pandémie. Les voix dis­cor­dantes ont été rares.
On peut une nou­velle fois saluer notam­ment André Bercoff sur Sud Radio qui assez tôt dans son émis­sion quo­ti­di­enne n’a pas tourné en déri­sion l’hypothèse de l’origine de la prop­a­ga­tion du virus d’un lab­o­ra­toire chinois.

Valeurs Actuelles illus­trait le 9 mars la plus grande lib­erté édi­to­ri­ale de le presse anglo-sax­onne, dont assez tôt cer­tains titres, dont le Dai­ly Mail, n’écartaient pas une fuite du virus du lab­o­ra­toire P4 de Wuhan en Chine. L’hebdomadaire cite égale­ment une tri­bune dans le Wash­ing­ton Post accrédi­tant la thèse de la fuite acci­den­telle du lab­o­ra­toire écrite par un « jour­nal­iste réputé et très intro­duit auprès des ren­seigne­ments améri­cains ».

Après avoir con­cerné qua­si unique­ment des médias alter­nat­ifs (« d’extrême droite »), ce sont donc ensuite des médias plus con­ven­tion­nels qui se sont emparés de l’hypothèse, par­mi d’autres, de la fuite du virus d’un lab­o­ra­toire chinois.

Les gouvernements anglais et américain en renfort, le banc de poissons des médias de grand chemin à l’unisson

Comme le souligne France Info le 17 avril, les gou­verne­ments anglais et améri­cains ont récem­ment demandé au gou­verne­ment chi­nois de s’expliquer sur l’origine de l’apparition du virus. N’écoutant que son courage ou plus sûre­ment pour ne pas rester à la traine, le Prési­dent de la République française déclarait le 16 avril au Finan­cial Times à pro­pos de la Chine : « claire­ment des choses se sont pro­duites que nous ne savons pas ». Il pour­suiv­ait en cri­ti­quant l’absence de lib­erté d’expression en Chine.

Alors que de nom­breux médias n’avaient pas de mots assez durs pour dénon­cer la théorie « com­plo­tiste » d’un virus venant d’un lab­o­ra­toire, la déc­la­ra­tion du Prési­dent de la République le 16 avril sem­ble avoir don­né une autori­sa­tion tacite pour explor­er d’autres pistes que la trans­mis­sion ani­mal-homme. C’est alors un véri­ta­ble festival :

  • Le Point titre le 18 avril sur « l’infection d’un employé de lab­o­ra­toire de Wuhan est plus prob­a­ble » et donne la parole à un micro­bi­ol­o­giste qui développe cette thèse.
  • « Ce lab­o­ra­toire P4 de Wuhan est au cœur des accu­sa­tions améri­caines con­tre la Chine » titre le Huff­post le 17 avril.
  • Pour ne pas opér­er un virage à 90°, Libéra­tion affirme que « rumeurs et polémiques enflent autour de l’origine du virus ». Le jour­nal­iste n’emploie pas le mot de « com­plot » mais évoque des « spécu­la­tions ». Il pré­cise que ni Yahoo News ni Fox News n’évoquent une fab­ri­ca­tion du virus dans un lab­o­ra­toire de Wuhan, mais plutôt la pos­si­bil­ité d’une fuite accidentelle.
  • Le Figaro s’interroge le 17 avril sur « les mys­tères du lab­o­ra­toire de Wuhan ».
  • La Char­ente libre con­sacre un arti­cle au « labo P4 de Wuhan, (qui) tra­vaille sur des sources dangereuses ».

Les exem­ples d’articles sont nom­breux à illus­tr­er la prise en con­sid­éra­tion de l’hypothèse, par­mi d’autres, d’une orig­ine du coro­n­avirus d’un lab­o­ra­toire de Wuhan en Chine.

Il aura donc fal­lu que des chefs d’État don­nent du crédit à cette hypothèse pour qu’elle ne soit plus taxée de con­spir­a­tionniste. Un nou­v­el exem­ple du con­formisme de nom­breux médias qui n’explorent des pistes d’investigation qu’une fois un cer­ti­fi­cat d’honorabilité délivré. Nous sug­gérons à cer­tains hon­or­ables jour­nal­istes de tir­er prof­it du con­fine­ment pour relire les écrits de George Orwell à pro­pos du Min­istère de la vérité. Un vaste sujet de réflexion…